Jehanne la Pucelle
Publié le 09/10/2010 à 19:09 par geneapope
Les historiens de Jeanne d'Arc ont confondu, sous le nom de Saint-Nicolas, deux localités différentes. A laquelle des deux doit-il appartenir ? Il importe avant tout de les faire connaître :
1° Saint-Nicolas-du-Port, à deux lieues de Nancy, treize de Vaucouleurs, où se trouvait Jeanne d'Arc;
2° Saint-Nicolas-de-Septfonds, situé dans la vallée de ce nom, à une lieue de Vaucouleurs.
M. Berriat Saint-Prix (1) et M. Quicherat (2), ce dernier particulièrement, dont l'autorité est si grande en tout ce qui concerne Jeanne d'Arc, adoptant la version accréditée, longtemps avant eux, par les historiens de la Lorraine, ont rapporté à Saint-Nicolas-du-Port un voyage ou pèlerinage de Jeanne d'Arc.
M. Lebrun des Charmettes et M. l'abbé Barthélémy de Beauregard, l'un et l'autre auteurs d'une histoire de Jeanne d'Arc, publiées, la première en 1817, et la seconde en 1847, ont rapporté à Saint-Nicolas-de-Septfonds (3) ce même voyage que MM. Berriat Saint-Prix et Quicherat supposent avoir été fait à Saint-Nicolas-du-Port. Je m'étais rattaché d'abord à l'opinion de ces derniers (4), la version de MM. Lebrun des Charmettes et Barthélémy ne m'ayant pas paru établie que sur de simples conjonctures. Il est à remarquer, en effet, qu'ils ne s'appuyaient sur aucune preuve.
Désireux cependant d'éclaircir ce point, j'écrivis à M. le curé de Vaucouleurs, pour lui demander s'il n'existerait pas, dans le pays, quelques traces ou souvenirs d'un lieu qui aurait porté le nom de Saint-Nicolas.
Or, il suit de la réponse qui m'a été faite (5) qu'un monastère ou moutier, pour me servir ici de la désignation employée par M. l'abbé Barthélémy, aurait existé, en effet, dans la vallée de Septfonds, à quatre kilomètres de Vaucouleurs environ, monastère aujourd'hui détruit, mais dont le souvenir a été parfaitement conservé dans le pays. Suivant la même lettre, les ruines de ce monastère existaient encore en 1815. Des fouilles, entreprises à cette époque, avaient mis à découvert des cercueils et fait reconnaître ainsi l'existence d'un ancien cimetière. On sait enfin qu'il existait là une chapelle en grande vénération, sous l'invocation de saint Nicolas. Ce nom reste même encore attaché à une fontaine située à proximité.
"J'ai vu, dit M. le curé de Vaucouleurs, la fontaine qui porte encore aujourd'hui le nom de Saint-Nicolas. J'ai vu et touché, ajoute-t-il, un Christ en bois, de grandeur naturelle, un peu mutilé, mais bien conservé dans son ensemble, et dont la tête est d'une beauté remarquable. C'était le Christ de la chapelle."
Il est donc établi, par l'existence irrécusable d'un cimetière, par le nom conservé à la fontaine et par une constante tradition, qu'il existait là un monastère ou moutier du nom de Saint-Nicolas.
Cela posé, quel parti prendre entre MM. Berriat Saint-Prix et Quicherat d'une part, et MM. Lebrun des Charmettes et Barthélémy de l'autre ?
Notre premier soin doit être ici de revoir avec attention tout ce qui est relatif à ce mot de Saint-Nicolas dans les documents originaux qui nous restent de Jeanne d'Arc.
Nous n'avons, sur ce point, d'autres éléments de discussion que les déclarations de trois des témoins entendus dans le procès de révision.
Ces témoins sont la femme Henri, Durand Laxart et Bertrand de Poulangy. Voyons d'abord dans quels rapports de position ils étaient avec Jeanne d'Arc.
Le premier de ces témoins, la femme Henri, était l'hôtesse de Jeanne à Vaucouleurs. On lit dans sa déposition que celle-ci lui avait été amenée par son oncle Durand Laxart, qu'elle a passé chez elle environ trois semaines, à différents intervalles de temps, per intervallum temporis, et qu'elle y était venue pour déterminer le sire de Baudricourt à la faire conduire au Dauphin.
Durand Laxart était un oncle maternel de Jeanne. Il habitait le Petit-Burey, village situé sur la route de Domrémy à Vaucouleurs. Jeanne, qui était venue à bout de l'intéresser à tous ses projets, fit avec lui tous ses premiers voyages. Il s'était entendu avec elle pour obtenir de ses parents la permission de l'amener au Petit-Burey, où elle passa six semaines environ, dans lesquelles il faut confondre, probablement, les trois qu'elle aurait passées chez la femme Henri, Jeanne n'étant pas chez celle-ci à demeure fixe, et n'y venant que de temps en temps, per intervallum temporis.
Bertrand de Poulangy se qualifie, dans sa déposition, d'écuyer de l'écuyerie du roi de France. Il était à Vaucouleurs en même temps que Jeanne d'Arc, et fut témoin de la première entrevue de celle-ci avec Robert de Baudricourt. Il fut encore un de ceux qui l'accompagnèrent dans le voyage de Vaucouleurs à Chinon.
Les dépositions de la femme Henri et de Bertrand de Poulangy sont les seules où nous rencontrions le mot de Saint-Nicolas; mais ce mot paraissant impliqué, suivant M. Quicherat, dans la déposition de Durand Laxart, il importe de la citer aussi.
Voici les passages de ces dépositions qui rentrent spécialement dans l'objet de notre discussion :
1° La femme Henri :
"Dixit etiam ipsa testis quod ipsa Johanna bene desiderabat, et erat tempus grave ac si esset mulier proegnans, eo quod non ducebatur ad Delphinum; et post hoec, ipsa testis et multi alii verbis crediderunt, ita quod quidam Jacobus Alain et Durandus Laxart voluerunt eam ducere et duxerunt eam usque ad Sanctum Nicolaum, sed reversi fuerunt ad dictum Vallis colorem, quia audivit quod ipsa Johanna dixit quod non erat sibi honestum taliter recedere; et dum reversi fuerunt, aliqui habitatores dictae villae fecerunt sibi fieri tunicam, caligas, ocreas, calcaria, ensem et similia, et habitatores emerunt sibi unum equum, et Jehannes de Metis, Bertrandus de Poulangeyo, Coletus de Vienna, cum tribus aliis, duxerunt eam ad locum ubi erat Delphinus, prout vidit ipsos ascendere equos, pro eundo."
2° Durand Laxart :
"Et quando dicta Puella vidit quod ipse Robertus eam ad locum ubi erat Delphinus duci facere non volebat, ipsa recepit vestes ipsius testis, et dixit quod volebat recedere; et dum recederet, idem testis adduxit ad Vallis colorem; et postquam ipsa fuit, ex salvo conductu ad Dominum Karolum, ducem Lotharingiae; et quando ipse dux eam vidit, sibi locutus fuit, ac idem Dominum Karolus quatuor Francos quod ipsa Johanna sibi testi monstravit, sibi dedit; et tunc ipsa Johanna ad Vallis colorem reversa, habitatores villae de Vallis colore emerunt sibi vestes hominis, calceamenta, ocreas et sibi necessaria, et ipse testis et Jacobus Alain de Vallis colore, emerunt sibi unum equum, pretio duodecim francorum de quibum suum proprium fecerunt debitum; attanem postmodum dominus Robertus de Baudricuria ipsum persolvere fecit. Et hoc facto; Johannes de Metis, Bretrandus de Poulangeyo, Coletus de Vienna et Ricardus, Sagittarius, cum duobus servitoribus corumdem Johannis de Metz et Bertrandi, ipsam Johannam duxerunt ad locum ubu erat Delphinus."
3° Bertrand de Poulangy :
"Et postea, versum initium quadragesima, ipsa Johanna rediit ad dictum locum Vallis coloris, quaerendo societam ad eundum versus Dominum Delphinum; et haec videns idem testis, ipse et Johannes de Metis proposuerunt insimul quod eam decerent ad Regem, tunc Delphinum; et postquam ipsa Johanna fuit in peregrinagio in Sancto Nicolao, et extitit versus Dominum ducem Lotharingiae, qui eam cum salvo conductu voluerat videre; quodque ipsa Johanna reversa apud dictum Vallis colorem, et domum habitationis Henrici Rotarii, dictae villae, ipse Bertrandus, testis loquens, et Johannes de Metis tantum fecerunt, cum adjutorio aliorum de Vallis colore, quod ipsa dimisit suas vestes mulieris, rubri coloris, et fecerunt sibi fieri tunicam et vestimenta hominis, etc..."
Ce qu'il y a de remarquable et ce qui frappe, avant tout, dans ces dépositions, c'est l'impatience de Jeanne et le désir ardent qu'elle avait d'être conduite au Dauphin, c'est leur ensemble et leur accord parfait dans les détails importants.
Voyons maintenant comment chacune d'elles, en particulier, peut être interprétée en elle-même et dans ses rapports avec les autres, au point de vue des deux opinions qui sont en présence. Reprenons, pour commencer, la déposition de la femme Henri.
Jeanne est impatiente de partir, et le temps lui dure comme à une femme enceinte. On finit par avoir confiance en elle; on croit à ses paroles, tellement que Durand Laxart et Jacques Alain consentent à la conduire et la conduisent en effet jusqu'à Saint-Nicolas. C'est ici que la difficulté commence. A quel Saint-Nicolas ?
Nous avons déjà fait connaître sur ce point l'opinion de MM. Lebrun des Charmettes et Barthélémy de Beauregard. Cette opinion semble d'autant plus fondée que Saint-Nicolas-de-Septfonds touche à Vaucouleurs, et ne s'éloigne pas de la direction qui pouvait conduire Jeanne au Dauphin; que celle-ci semble être partie à pied, mal préparée au long voyage qu'elle voulait entreprendre, et qu'elle n'aurait fait que céder ainsi à un premier mouvement suivi d'un prompt retour à d'autres dispositions. C'est, en effet, ce qui résulte de la déposition de la femme Henri, déposition suivant laquelle Jeanne serait revenue en disant qu'il n'était pas honnête à elle de partir ainsi, c'est-à-dire aussi mal préparée à son voyage; et ce qui vient encore à l'appui de cette explication, c'est que, d'après le même témoin, ceux qui croyaient aux paroles de Jeanne et lui témoignaient de la bonne volonté se mettent aussitôt, pour elle, en frais d'équipement.
Remarquons encore ici, relativement au mot de Saint-Nicolas, employé par la femme Henri sans autre désignation propre à le faire distinguer, que ce mot ne pouvait s'entendre que d'un lieu propre au pays, de celui que tout le monde y connaissait, car, autrement, si le voyage de Jeanne eût eu pour but un autre pays du même nom, la femme Henri aurait été tout naturellement conduite à en marquer la différence : elle ne l'a pas fait.
Durand Laxart est moins explicite; et le mot de Saint-Nicolas ne se trouve même pas exprimé dans sa déposition, bien que, d'après celle de la femme Henri dont nous venons d'avoir à nous occuper, il ait pris part, en personne, à la tentative avortée du premier départ de Jeanne.
Durand Laxart établit, comme les autres témoins, que Jeanne s'était rendue à Vaucouleurs pour décider Robert de Baudricourt à la faire conduire au Dauphin, et que, désespérée des refus de celui-ci, elle avait dit un jour qu'elle voulait partir, quod volebat recedere, c'est-à-dire pour aller trouver le Dauphin où il était (6).Jeanne dans son impatience, avait même pris les habits de son oncle, vestes ipsium testis. Elle s'en allait donc; et nous voyons, en effet, par la déposition de Durand Laxart, que cette résolution de Jeanne eut un commencement d'exécution. Ceci est d'ailleurs expressément confirmé par la déposition de la femme Henri, qui, complétant le récit de cet incident, fait aller Jeanne, en compagnie de Durand Laxart et de Jacques Alain, jusqu'à Saint-Nicolas; mais la suite devient obscure. Et dum recederet, continue Durand Laxart, idem testis eam adduxit ad Vallis colorem. "Faute de copie, dit à ce sujet M. Quicherat. Durand Laxart n'avait pas à conduire sa nièce à Vaucouleurs, puisqu'il y était. Lisez : eam adduxit ad Sanctum Nicolaum."
Cette rectification pourrait, en effet, sembler motivée au premier aperçu. Ce n'est pas, toutefois, chose légère que d'en venir à une altération du texte de dépositions recueillies judiciairement. M. Quicherat ne me paraît pas suffisamment fondé à dire ici que Jeanne était à Vaucouleurs. Elle n'y était, suivant la femme Henri, que par intervalle de temps; et c'est au Petit-Burey, chez son oncle, qu'elle avait sa résidence véritable, avouée et consentie par ses parents. Le but de ses voyages et des différents petits séjours qu'elle a pu faire à Vaucouleurs était d'y trouver le sire de Baudricourt, et de l'amener, par tous les moyens possibles, à entrer dans ses vues. On sait qu'elle a fait aussi plusieurs démarches infructueuses; et si nous comprenons bien la déposition de la femme Henri, Jeanne revenait chez son oncle, au Petit-Burey, dans l'intervalle de ces mêmes démarches.
Il est même de toute vraisemblance qu'elle ne pouvait être que là, lorsque, dans son impatience, elle se revêtit d'habits d'homme, empruntés à son oncle, avec l'intention de partir. Elle n'aurait pu le faire à Vaucouleurs, à moins que son oncle ne s'y trouvât pourvu de vêtements de toutes sortes et en nombre suffisant pour l'habiller, sans se dépouiller lui-même, ce qui n'est pas probable. On n'entreprend pas non plus un voyage de cent cinquante lieues sans avoir à se munir de choses qu'on ne trouve que chez soi.
Jeanne devait donc être au Petit-Burey, quand elle vint à bout de décider son oncle à la conduire lui-même; et, dès lors, on conçoit très bien que celui-ci l'ait ramenée d'abord à Vaucouleurs.
La déposition de Durand Laxart, entendue de cette manière, est muette, il est vrai, sur l'incident du voyage à Saint-Nicolas, voyage fait en compagnie de Jacques Alain; mais cet incident n'ayant abouti qu'à un retour à Vaucouleurs, on comprend très bien qu'il ait pu le passer sous silence.
Ajoutons que si, dans la partie de sa déposition rectifiée par M. Quicherat, Durand Laxart avait eu réellement en vue le fait même du voyage à Saint-Nicolas, si bien caractérisé par la femme Henri, dans ses motifs et dans son but, il aurait probablement donné plus de relief à la mention de ce voyage, et n'aurait pas oublié, notamment, son fidèle compagnon, Jacques Alain.
Durand Laxart, poursuivant sa déposition, déclare que Jeanne se rendit ensuite à Nancy, sous la garantie d'un sauf-conduit qui lui avait été envoyé par le duc de Lorraine.
La déposition de Bertrand de Poulangy fait mention des mêmes voyages et dans le même ordre. Le voyage de Jeanne à Saint-Nicolas y est qualifié de pèlerinage. Il aurait donc été subordonné, dans la pensée de ce témoin, à un motif de dévotion, tandis que le voyage de Jeanne à Saint-Nicolas, dont parle la femme Henri, aurait été déterminé surtout par l'impatience où était celle-ci d'aller trouver le Dauphin.
Nous reviendrons plus loin sur ce désaccord apparent. Quant au voyage de Jeanne à Nancy, Bertrand de Poulangy se borne à dire que le duc de Lorraine avait voulu la voir et lui avait envoyé un sauf-conduit.
Ce voyage de Nancy pouvant avoir contribué à faire admettre celui de Saint-Nicolas-du-Port, il est bon de compléter ici l'exposé des faits qui s'y rattachent, et c'est par là que nous entrerons dans l'examen de l'opinion représentée par MM. Berriat Saint-Prix et Quicherat.
Jean de Metz, un des témoins entendus au procès de révision, parlant du voyage de Jeanne à Nancy, dit l'avoir escortée jusqu'à Toul (7). Il suivrait aussi de sa déposition qu'elle serait partie sur un cheval acheté à Vaucouleurs. Le bruit public était, si l'on en croit deux autres témoins, Jean Morel et Louis de Martigny (8), que le duc de Lorraine, ayant entendu parler de Jeanne et désireux de la voir, lui aurait donné ou simplement envoyé un cheval. Il est d'ailleurs établi par les propres déclarations de Jeanne au procès de condamnation (9), qu'elle n'est allée à Nancy que sur la demande du duc de Lorraine, qui voulait la consulter sur sa santé. Jeanne, il est vrai, profita de cette occasion pour engager le duc à la faire conduire en France, en lui promettant de prier Dieu pour sa santé; mais elle n'était pas venue pour cela. Ses voix lui avaient commandé de s'adresser au sire de Baudricourt (10), et non pas au duc de Lorraine.
Voilà ce que les deux procès nous apprennent du voyage de Jeanne à Nancy. Le mot de Saint-Nicolas n'est exprimé que deux fois, dans le procès de révision, par des témoins de l'intimité de Jeanne; et ce mot ne se rencontre pas une seule fois dans les interrogatoires du procès de condamnation.
Nos lecteurs ont maintenant sous les yeux tous les éléments de la solution recherchée. Jeanne est-elle allée à Saint-Nicolas-du-Port ? Y serait-elle allée, proprio motu, dans un but de dévotion, de Vaucouleurs, ou seulement par occasion, c'est-à-dire de Nancy, où elle avait été mandée par le duc de Lorraine ?
M. Berriat Saint-Prix, cherchant à expliquer le voyage de Jeanne à Nancy, par un motif étranger à celui qui nous en est donné dans les deux procès, suppose qu'elle aurait accompli, de son chef, un pèlerinage à Saint-Nicolas-du-Port, sous la conduite de son oncle, et que le duc de Lorraine aurait eu, à cette occasion, la curiosité de la voir et de la consulter sur une maladie. Cette explication, empruntée aux tendances de Jeanne et à sa piété connue, pourrait sembler admissible à ce point de vue; mais elle n'est pas d'accord avec les faits.
M. Quicherat, plus contenu par ceux-ci, mais dominé par l'idée que le Saint-Nicolas dont il est question dans les dépositions précitées ne peut être que Saint-Nicolas-du-Port, ne se rend pas, néanmoins, sans quelque peine à cette idée. Lieu célèbre par ses pèlerinages, dit-il, en rapportant à Saint-Nicolas-du-Port la première tentative de départ faite par Jeanne, en compagnie de Durand Laxart et de Jacques Alain, mais situé précisément à l'opposé de la route de France; on ne conçoit pas que Durand Laxart ait pris ce chemin pour mener la Pucelle à Charles VII; et cependant M. Quicherat veut bien admettre comme vrai ce qui lui paraît inconcevable, en supposant, d'après un mot échappé à Bertrand de Poulangy (peregrinagio), que ce détour si brusque aurait eu la dévotion pour objet; mais, dans ce cas, c'est-à-dire si Jeanne, toute pressée qu'elle était d'aller trouver le Dauphin, su fût ainsi détournée de son chemin, pour accomplir un pèlerinage à Saint-Nicolas-du-Port, elle n'aurait pas eu besoin, pour cela, de prendre des habits d'homme; et nous ne voyons pas non plus pourquoi, changeant ainsi de pensée et de but, elle aurait dit, en revenant, qu'il n'était pas honnête à elle de s'en aller ainsi (taliter recedere).
Prenons le mot recedere dans toutes les acceptions qu'on voudra lui donner : partir ou s'en aller, voyager, revenir sur ses pas; il n'en est pas une seule, dans l'hypothèse d'un pèlerinage à Saint-Nicolas-du-Port, entrepris volontairement, qui soit conciliable avec le sens des expressions ci-dessus rapportées.
Jeanne, allant en pèlerinage à Saint-Nicolas-du-Port, aurait fait, probablement, ce qu'elle aurait voulu faire; et dès lors, elle n'avait ni à le regretter, ni à se le reprocher, dans des termes semblables à ceux que la femme Henri ne fait que répéter d'après elle.
La seule apparence de raison que M. Quicherat puisse donner à son explication tient à un seul mot, celui de pèlerinage, employé par Bertrand de Poulangy; mais ce mot peut tout aussi bien convenir à Saint-Nicolas-de-Septfonds qu'à Saint-Nicolas-du-Port, et Bertrand de Poulangy ne spécifie pas celui que Jeanne aurait visité.
Ce qui pourrait cependant donner quelque faveur encore à l'opinion de M. Quicherat, c'est le rapprochement établi par Bertrand de Poulangy entre le voyage à Nancy et ce qu'il appelle un pèlerinage à Saint-Nicolas; mais la femme Henri, qui devait être ici mieux informée, puisque Jeanne est partie de chez elle pour aller à Saint-Nicolas, en compagnie de Durand Laxart et de Jacques Alain, la femme Henri, qui l'a reçue également chez elle à son retour, et qui nous explique si bien les motifs de celui-ci, qui nous le présente comme immédiat et sans rapport quelconque avec le voyage de Nancy, nous paraît devoir être considéré comme le seul témoin véritablement décisif et concluant dans la question.
La tentative de départ entreprise par Jeanne, dans la direction de Saint-Nicolas-de-Septfonds, ne pouvait manquer de lui apparaître aussi comme une occasion de préluder à son grand voyage par un acte de dévotion. Ses habitude et sa piété connues nous autorisent à le supposer. Rien d'étonnant à ce que Bertrand de Poulangy n'y ait vu que cela, Jeanne ayant dû tenir à garder, pour elle-même et pour ses compagnons de voyage, le secret d'une intention qui n'avait pu être suivie d'effet.
Si Jeanne d'Arc était allée de son chef à Saint-Nicolas-du-Port, elle aurait eu probablement des précautions à prendre; et nous voyons, en effet, qu'elle ne s'est rendue à Nancy que sur une invitation du duc de Lorraine, appuyée d'un sauf-conduit. Ce prince était alors dans une attitude au moins douteuse à l'égard de la France, et son gendre, le duc de Bar, allait se déclarer pour les Anglais. Ce que Jeanne nous apprend de son entrevue avec lui nous fait voir aussi qu'elle avait été très circonspecte et réservée dans ses discours, parum declarans ei de suo voyagio(11). Saint-Nicolas-du-Port se trouvait d'ailleurs à plus de deux lieues encore au-delà de Nancy, sur la route que Jeanne avait à suivre pour y arriver. C'était donc au moins treize lieues à faire, à ses risques et périls, et autant pour le retour, dans des chemins difficiles, en plein hiver, en février. Ce n'était guère, il faut l'avouer, le moment d'un pèlerinage, en considérant surtout que la pensée dominante de Jeanne était d'aller au plus vite où était le Dauphin. M. Quicherat se montre, il est vrai, préoccupé de ces considérations, mais il ne s'y arrête pas.
Ce qui reste bien évident, c'est que le voyage de Nancy ne peut être confondu d'aucune manière avec celui dont la femme Henri détaille si bien les circonstances et les motifs. C'est le Dauphin qu'elle allait chercher dans celui-ci; c'est le duc de Lorraine qu'elle allait trouver dans l'autre. La femme Henri nous la montre accompagnée, dans le premier, de Durand Laxart et de Jacques Alain, tandis que, dans le second, Jean de Metz, un de ses plus dévoués partisans, l'aurait suivie jusqu'à Toul. Il n'y a donc aucun rapport possible à établir entre ces deux voyages, dont le premier ne paraît pouvoir être rapporté qu'à Saint-Nicoles-de-Septfonds. M. Quicherat, qui, selon toute apparence, ignorait l'existence d'une localité de ce nom dans le voisinage de Vaucouleurs, s'est cru obligé de conduire Jeanne à Saint-Nicolas-du-Port; mais l'effort qu'il y met nous montre assez son embarras. Si nous en prenons acte ici, c'est uniquement dans l'intérêt de la vérité, dont il a mis lui-même le flambeau dans toutes les mains qui sauront le porter. Toute autre disposition d'esprit nous siérait mal, et nous sentons trop que si nous pouvons discuter contre lui, c'est toujours avec lui.
Si Jeanne d'Arc est allée à Saint-Nicolas-du-Port, elle ne pourrait y être allée que toute portée, c'est-à-dire étant à Nancy, où le duc de Lorraine l'avait mandée; mais les textes que nous venons de discuter ne nous donnent à cet égard aucun appui suffisant; et l'hypothèse même de ce voyage ne saurait infirmer ni la déposition de la femme Henri, ni les conséquences que j'en ai tirées à l'appui de l'opinion exprimée par MM. Lebrun des Charmettes et Barthélémy. Le voyage ou pèlerinage de Jeanne d'Arc à Saint-Nicolas-du-Port peut donc au moins sembler très douteux, depuis que l'existence d'un autre Saint-Nicolas, voisin de Vaucouleurs, a été constatée. J'y croyais auparavant, mais il n'en est plus de même aujourd'hui, que j'ai été conduit par la lettre de M. le curé de Vaucouleurs à examiner les textes de plus près.
Quoiqu'il en soit, si les objections que je viens de présenter ne paraissent pas entièrement décisives, elles m'ont paru dignes au moins d'être soumises à l'attention de ceux qui ne sont indifférents à rien de ce qui touche à Jeanne d'Arc, et qui tiennent à éclairer d'un jour vrai jusqu'aux moindres particularités de son histoire.
Ma tâche pourrait sembler remplie. Je tiens à profiter, néanmoins, de l'occasion qui se présente à moi d'indiquer les rectifications que j'aurais à proposer dans le classement des différents petits voyages faits par Jeanne d'Arc, avant son départ de Vaucouleurs pour Chinon. Je vais les énumérer successivement, dans l'ordre qui m'a été commandé par une attentive confrontation des textes judiciaires, en y ajoutant les dates, autant que possible :
1° De Domrémy à Neufchâteau, lors d'une invasion du parti anglo-bourguignon, qui mit les habitants du village dans la nécessité de fuir. Retour à Domrémy, après quelques jours d'absence.
2° De Domrémy à Toul, où Jeanne était appelée à comparaître devant l'officialité du diocèse, pour une prétendue promesse de mariage. Il paraît, d'après certains détails du procès de condamnation (12), que ce voyage aurait suivi de très près celui de Neufchâteau. Remarquons ici que le Petit-Burey, village où résidait Durand Laxart, et Vaucouleurs, où commandait le sire de Baudricourt, étaient sur le chemin de Domrémy à Toul, et que, dans la disposition d'esprit où était Jeanne, elle ne pouvait manquer cette occasion de s'y arrêter.
3° Retour de Toul à Domrémy, en passant par Vaucouleurs. C'est alors que Jeanne aurait vu pour la première fois, le sire de Baudricourt et Bertrand de Poulangy, ce qui, d'après la déposition de ce dernier, nous reporte à une date voisine du jour de l'Ascencion (13 mai 1428). Bertrand de Poulangy, parlant de cette entrevue, dit que Durand Laxart reconduisit Jeanne à la maison de son père. Durand Laxart était donc avec elle, et l'avait probablement accompagnée dans son voyage de Toul.
4° En janvier 1429, voyage de Jeanne au Petit-Burey, sur la demande de son oncle, et sous prétexte des soins que réclamait alors la femme de celui-ci, voyage consenti par ses parents (13). Séjour de six semaines environ, suivant Durand Laxart (14), et pendant lesquelles Jeanne en aurait passé trois chez la femme Henri, à différentes reprises, per intervallum temporis (15), ce qui veut dire que Jeanne allait et venait plus ou moins souvent du Petit-Burey à Vaucouleurs, et de Vaucouleurs au Petit-Burey. Bertrand de Poulangy, parlant de sa deuxième rencontre avec Jeanne, la rapporte au même temps (16).
5° Pendant le séjour de Jeanne à Vaucouleurs, chez la femme Henri, tentative de départ effectuée jusqu'à Saint-Nicolas-de-Septfonds, où Jeanne s'arrête, ne se trouvant pas dans des conditions convenables pour aller plus loin, et prompt retour à Vaucouleurs.
6° Voyage de Vaucouleurs à Nancy, sur la demande du duc de Lorraine, et retour à Vaucouleurs. L'époque de ce retour est rapprochée par Jean de Metz du premier dimanche de Carême (dimanche des bures), 13 février 1429 (17).
7° Voyage de Vaucouleurs à Chinon par Saint-Urbain, Auxerre, Gien et Sainte-Catherine-de-Fierbois. Durée de ce voyage, onze jours (18). Date de l'arrivée à Chinon, donnée par le continuateur François de Guillaume de Mangis, 6 mars 1429 (19). Si ces indications sont vraies, la date de départ de Vaucouleurs aurait été celle du 25 février.
La considération la plus importante à garder, relativement à ces premiers voyages de Jeanne, est, comme elle le dit elle-même (20), l'état de grande subjection où elle était tenue par ses parents, notamment par son père, et l'ignorance où ils ont été, jusqu'à la fin, de son départ, à tel point qu'ils faillirent en perdre le sens aussitôt qu'ils en furent informés.
Telle est la donnée principale à laquelle j'ai dû me conformer dans le classement que je viens de présenter. Toutes les tentatives de départ que Jeanne a pu faire ont dû être subordonnées à des absences motivées et avouées par ses parents. J'ai rapporté ainsi la première des tentatives de Jeanne au voyage de Domrémy à Toul par Vaucouleurs, et toutes les autres, au temps qu'elle a passé près de son oncle, avec la permission de ses parents, qui la croyaient toujours au Petit-Burey.
Deux itinéraires de Jeanne d'Arc ont déjà été donnés, l'un par M. Berriat de Saint-Prix, l'autre par M. Quicherat. Chacun de ces itinéraires embrasse toute la vie de Jeanne d'Arc; et celui que je viens d'ébaucher s'arrête aux limites mêmes de mon sujet. Il est facile de voir en quoi nous différons sur les points dont j'ai eu à m'occuper.
Lettre envoyée par M. le curé de Vaucouleurs:
" Je suis heureux de pouvoir répondre d'une manière satisfaisante à votre demande. D'après de nouveaux renseignements recueillis de la bouche des anciens et de personnes dignes de foi, il y avait une chapelle en grande vénération à quatre kilomètres de Vaucouleurs, sous l'invocation de saint Nicolas, dans la vallée de Septfonds.
Les ruines de cette chapelle existaient encore en 1815. Je me suis transporté sur les lieux : le propriétaire actuel m'a montré l'emplacement et un cimetière en avant d'où plusieurs cercueils ont été extraits, en faisant disparaître les derniers vestiges de ces lieux religieux.
J'ai vu et touché un Christ en bois bien dur, un peu mutilé, mais bien conservé dans son ensemble (c'était le Christ de la chapelle), et dont la tête est d'une beauté remarquable.
Ce Christ est de grandeur naturelle. Une tradition constante fait remonter cette chapelle à une haute antiquité; on va même jusqu'à dire qu'il y avait une maison religieuse. Les cercueils retrouvés semblent prouver cette opinion.
J'ai vu la fontaine qui porte le nom de Fontaine de Saint-Nicolas encore aujourd'hui; il est très probable que Jeanne d'Arc aura accompli son pèlerinage à la chapelle de Saint-Nicolas-de-Septfonds, surtout dans ces temps-là, où les différents partis qui ravageaient le pays ne permettaien guère à une pauvre fille de se rendre à Saint-Nicolas-du-Port, éloigné de Domrémy de cinquante kilomètres.
Voilà, Monsieur, les renseignements que j'ai pu recueillir et qui répondent à la demande que vous avez bien voulu m'adresser.
J'ai l'honneur d'être, etc.
Tihay,
Curé de Vaucouleurs."
(1) Jeanne d'Arc, p. 184.
(2) Procès de condamnation et de réhabilitation, p. 444 et 447.
(3) M. Lebrun des Charmettes. t. I, p. 331 et 335; - M. l'abbé Barthélémy, t. I, p. 70.
(4) Souvenirs du Bassigny champenois, p. 11.
(5) Lettre de M. le curé de Vaucouleurs, en date du 27 mars 1851, reproduite plus loin.
(6) Si je traduis ici le mot recedere du texte latin, c'est qu'il est presque toujours employé dans ce sens. Exemple tiré de la déposition de Jean de Metz : "Et tunc, idem Johannes, testis, promisit eidem Puellae, per fidem suam in sua manu tactam, quod eam, Deo duce, duxerat versus regem; et tunc, idem testis loquens, petiit sibi quando vellet recedere; quae dicebat : "Citius nunc quam cras."(M. Quicherat, t.II, p. 436). "Aujourd'hui plutôt que demain". Nouvelle preuve de l'impatience de Jeanne, et preuve, sans réplique, du sens attaché au mot recedere par les greffiers du procès.
(7) M. Quicherat, t. II, p. 437.
(8) Id., t. II, p. 391 et 406.
(9) Id., t. I, p. 54 et 221.
(10) Id., t. I, p. 53.
(11) Id., t. I, p. 222.
(12) Id., t. I, p. 214 et 215.
(13) Id., Dépositions d'Isabelle, femme Gérardin, de Mongette, femme Joyart, et du fils Colin, t. II., p. 428, 430 et 431.
(14) Id., t. II, p. 413.
(15) Id., t. II, p. 446.
(16) Id., t. II, p. 456.
(17) Id., t. II, p. 437.
(18) Ibid.
(19) Id., t. IV, p. 313.
(20) Id., Interrogatoire du 12 mars, t. I, p. 128 à 132.
(d'après les mémoires de la S.A.H.O., tome V, ancienne série).
Publié le 10/02/2010 à 10:17 par geneapope
Jehanne en Lorraine avant le départ vers le roi.
Le Bois-Chenu qui avait connu ses jeux d'enfants, où, en ronde, avec ses amies Mangette et Hauviette, elle chantait autour du bal arbre des Fées (1), allait voir le ravissement de Jeannette, lorsque, chassant la légende profane, sainte Catherine et sainte Marguerite, radieuses figures célestes, lui redirent la détresse de la France et l'appel divin.
Chaque semaine, Jeannette allait à Vouthon rendre visite aux parents d'Isabelle Romée qui en était originaire. Elle empruntait un sentier que l'on désigne encore sous le nom de
"sentier des avisselots" (petits oiseaux).
Familiers de Jeannette, rapporte la tradition, ces compagnons ailés avaient accoutumé de lui faire une escorte gracieuse jusqu'à la sortie de la forêt se gardant bien des espaces découverts.
"En route, avisselots !" leur disait-elle au retour et eux de l'accompagner jusqu'à Domrémy.
Presque tous les samedis, elle montait en pèlerinage à Notre-Dame-de-Bermont, au-delà de Greux. Chemin faisant, elle cueillait les fleurs qu'elle offrirait à Notre-Dame.
L'horizon que l'on découvre en cheminant surprend par son étendue dans ce pays de faible altitude. Il retient, entre ses promontoires aux crêtes boisées et les pentes adoucies de la vallée, toute la petite enfance de Jeanne : à droite, le Bois-Chenu (que signale la flèche de la basilique élevée à sa mémoire); au pied, dans une dépression de terrain qui semble un creux de berceau, Domrémy et son clocher carré; dans le lointain, les hautes tours de Bourlémont gardent la route par laquelle s'enfuyait vers Neufchâteau tout le village alerté lorsque le danger grandissait. Et face au Bois-Chenu s'ouvre le chemin de Vaucouleurs que cache l'éperon de Burey-la-Côte. Là s'imposent à l'esprit toutes les angoisses que connut Jeanne avant son entière acceptation. "Vaucouleurs... Vaucouleurs..." lui répétaient ses Voix... L'aspect de son pays éclaire sa destinée...
Les bandes bourguignonnes apparaîtront dans la vallée de la Meuse, mettant en péril les habitants forcés de se réfugier à Neufchâteau, à deux lieues au sud de Domrémy. La châtellenie de Vaucouleurs est envahie... Vaucouleurs lui-même est assiégé, sa capitulation conditionnelle décidée.
A Neufchâteau, Jeanne logea chez Jean VALDAIRES, dont la femme était surnommée "la Rousse". Il est difficile de déterminer l'emplacement exact de la maison, car l'hôte de la famille d'Arc en possédait deux : l'une au 27 de la rue Ferry actuelle, l'autre rue Gohier.
Jeanne était à Neufchâteau lorsqu'elle fut appelée à comparaître devant l'Official, Henri de VILLE, à Toul, siège de l'évêché dont dépendait Domrémy. Elle y gagna son premier procès ecclésiastique : un prétendant à sa main, ayant faussement invoqué une promesse de fiançailles, fut confondu par elle et accusé d'imposture. Jeanne y fut reconnue "libre de tout lien." (2)
De Neufchâteau, où elle a rejoint les siens, elle regagne Domrémy. Après avoir connu la fuite précipitée, elle connaît maintenant le retour au foyer pillé et dévasté.
En mai 1428, elle passe une huitaine de jours à Burey-le-Petit (aujourd'hui Burey-en-Vaux), chez Durand LAXART, qui avait épousé une nièce d'Isabelle Romée et qu'elle appelait son oncle, car il était de seize ans plus âgé qu'elle. Elle en fait son confident et, le premier, il croit en elle.
Sur sa demande, il la conduit au château de Vaucouleurs le 13 mai.
"Messire - dit-elle à Baudricourt, capitaine de la garnison - je viens de la part de mon Seigneur afin que vous mandiez au Dauphin de bien se tenir, de ne pas engager de bataille avec ses ennemis parce que mon Seigneur lui donnera secours après la mi-carême. Le royaume ne regarde pas le Dauphin, mais il regarde mon Seigneur. Cependant mon Seigneur veut que le Dauphin devienne roi et qu'il tienne ce royaume en commende. Il sera roi, malgré ses ennemis, et moi, je le conduirai à son sacre."
-
"Quel est ton Seigneur ?" demande Baudricourt.
-
"C'est le Roi du Ciel."
-
"Cette fille déraisonne, dit-il à Durand Laxart.
"Ce que vous devez faire, c'est de la ramener chez elle avec de bons soufflets."
L'on voit encore à gauche de la porte de France la porte basse dite de Vaucouleurs ou de Neuville, par laquelle, à cette date, Jeanne sortit du château sous les huées.
Elle rentre à Domrémy, contristée, mais sa confiance n'est pas ébranlée.
(1)
"L'arbre des Fées" ou "Beau Mai" , qui fut brûlé au XVIIè siècle par les Suédois, a été remplacé en 1881, par le
"Beau Mai" actuel planté à gauche de la basilique. Si l'on dépasse le Carmel, on aperçoit sur une crête boisée le château des seigneurs de Bourlémont, propriétaires du
"Beau Mai"
(2) L'aile gauche de l'hôtel de ville porte une belle inscription relatant l'évènement.
Tiré de
"En suivant Jeanne d'Arc sur les chemins de France", par M.F. Richaud et P. Imbrecq, fondatrices de l'Association des Amis de Jeanne d'Arc - Lib. Plon - 1956.
Publié le 03/10/2008 à 12:00 par geneapope
Note sur les fiefs et lieux cités.
Le Mont et
Luminard, lieux presque attenants, sur la paroisse de Saint-Denis-en-Val, se composaient de sables d'alluvion, d'une étendue assez considérable, mais de médiocre valeur, plantés d'oseraies ou à l'état de pâtures.
Luminart avait : maison, cour, courtil, vignes et 28 arpents de terre, qui étaient chargés de 28 sols 3 deniers parisis de cens annuel.
Certaines sources disent que Jehan du Lys avait récupéré Luminart dans sa succession paternelle, et l'avait loué en 1495 aux frères Chauvot, de Saint-Denis-en-Val, pour une rente de 4 livres et demie par an, avec en plus l'obligation d'y faire certaines constructions.
On peut en douter, car on étudiera plus loin deux actes de 1460, nous précisant que ce lieu appartenait à Mengin de Vouthon et à son épouse Guillemette, oncle et tante de Pierre du Lys, qui le vendent alors à un bourgeois d'Orléans nommé Jehan de Thamenay.
On verra qu'il est précisé que Mengin avait obtenu ce lieu "de son conquest", et donc par un achat personnel. Il y vécurent tout de même jusqu'à leur mort.
Si le fait s'avère exact, il serait intéressant de savoir comment cet endroit est revenu dans le patrimoine de Pierre du Lys ! Nous nous en tiendrons pour le moment aux deux actes de 1460.
Le Mont était un fief des de Brunet, famille de Saint-Denis-en-Val, dont Antoine avait épousé Marguerite du Lys, fille de Jehan d'Arc, et donc cousine (et héritière) de Jehan du Lys.
Le Mont fut détruit en 1789. Luminart existait encore en 1892. Un lieu porte encore ce nom sur la commune.
L'Ile-aux-Boeufs appartenait en propre à la famille d'Orléans, qui n'en concéda que l'usufruit et l'exonération fiscale.
Cette faveur accordée à Pierre du Lys et à Jehan du Lys, son fils, se transmettra à Antoine de Brunet. Cette île, constituée principalement en atterrissements de la Loire, était de contenance fort variable, par suite des délaissements ou des érosions du fleuve, lors de ses crues périodiques, qui en augmentaient ou en réduisaient l'étendue.
La Métairie de Bagnault (Bagnaux) relevait sans doute du chapitre cathédral. Elle ne devait pas être très juteuse, et c'est sans doute pour cette raison que Pierre du Lys sollicita - et obtint - le bail de l'Ile-aux-Boeufs, pour ainsi augmenter quelque peu son revenu.
Ces endroits étaient donc des terres agricoles, d'une assez vaste étendue, mais d'un revenu relativement faible.
La plupart de ces terres entrèrent au 16ème siècle dans les dépendances du château de l'Ile, appartenant alors au bailli d'Orléans Groslot. Une partie fut détruire lors de l'inondation de 1866. En 1892, le titulaire en était M. de Terrouenne.
Pour Jehan du Lys, venu par son mariage, le fief le plus important semble avoir été le lieu de Villiers-Charbonneau, en Sologne, sur la paroisse d'Ardon, et qui comportait trois ou quatre métairies et autres dépendances.
Ces domaines devaient lui permettre de vivre correctement, si l'on y ajoute les vignes et rentes diverses, avec La Couaspellière, La Goislière et aussi l'étang du Coignier.
Le domaine de l'Ile, à Saint-Denis-en-Val :
(extraits Bull. S.A.H.O. - t.2 - 1853 - pp. 19 à 23)
Vers 1383, le manoir de l'Isle avec la métairie qui en dépendait, appartenait alors à la famille Bourdon, d'Orléans.
Ce terrain avait pris le nom d'Ile, parce que primitivement la Loire l'entourait de ses eaux, et pour le distinguer de trois autres terrains autrefois aussi cernés par deux bras du fleuve, et désignés sous les noms de Petite-Ile, Haute-Ile, Ile-aux-Boeufs; on l'appela tantôt la Basse-Ile, tantôt le Boison ou Buisson-Baudry, l'Ile-Bourdon, l'Ile-aux-Bourdons.
Ces dénominations nous indiquent que l'île dont nous parlons était boisée, car "buisson" a été longtemps synonyme de forêt (on désignait la forêt de Montargis sous le nom de Buisson-de-Peaucourt), et qu'elle appartint aux familles Baudry et Bourdon.
L'Ile-aux-Bourdons faisait partie de la paroisse de Chécy, et n'était anciennement séparée de la rive droite que par un canal très étroit; mais ce canal s'élargit peu à peu, et les eaux abandonnèrent le lit méridional pour se porter au nord et former le chenal actuel; elle relevait partie en fief du vicomte d'Orléans, partie en censive de Pierre de Champferré, écuyer, seigneur de la Haute-Ile. Jehan Bourdon payait à Pierre de Champferré 2 deniers parisis de cens, par arpent, chaque année, le jour de "Notre-Dame-Chandeleur".
Le 25 mai 1403, Jehan Bourdon, d'Orléans, héritier et exécuteur testamentaire de Jehanne "la Bourdonne", première propriétaire connue de l'Isle, constituait sur cette terre une rente annuelle et perpétuelle de vingt-huit sous parisis au profit de Jehan Cousin, bourgeois d'Orléans, ou des héritiers et ayant cause dudit Cousin, pour un capital de vingt livres tournois, compté en écus d'or de la couronne du coin du roi (l'écu d'or en 1403 valait 22 sous 6 deniers).
Le 10 novembre 1467, un autre Jehan Bourdon, écuyer, fils du précédent, et de Marguerite La Bannière, demeurant à Armonville-la-Sablon, en Beauce, donnait l'hypothèque, sur une partie de l'Ile-aux-Bourdons, à Estienne Grolot (Groslot), marchand tanneur d'Orléans, pour une rente annuelle et perpétuelle de 3 écus d'or, au capital de 30 écus d'or. Cette partie de l'isle était tenue en fief de Denis Rogier, entreposeur du grenier à sel d'Orléans et seigneur de Poinville.
Ce même Jehan Bourdon et son beau-frère, Guillaume Chabault, écuyer, époux de damoiselle Mathurine Bourdon, vendirent en 1475 le lieu et métairie de l'Ile-aux-Bourdons à Jehan Grolot l'aîné, frère d'Estienne cité ci-dessus, et époux de Marion Bourdon.
Jehan Grolot l'aîné donna le lieu, manoir, métairie et appartenances de l'Ile-aux-Bourdons à son neveu et filleul, Jehan Grolot, dit le jeune, fils d'Estienne, au mois de mai 1487.
La terre de l'Isle, passée des mains de la famille Bourdon dans celle des Grolot, reçoit d'énormes accroissements par des acquisitions successives.
Jacques Grolot, fils de Jehan dit le jeune, non content du magnifique hôtel qu'il avait fait construire sur la place de l'Etape, veut avoir un château sur sa terre de l'Isle et les travaux commencent en 1530 (nb : il est pratiquement détruit de nos jours).
Il demande même au roi l'autorisation d'avoir un pont-levis.
Jacques Grolot achète de messire Jehan de Châlons, écuyer, seigneur du Bois, la censive, justice, seigneurie, dîme, champart, droits, profits, rentes et émoluments en dépendant de la Haute-Ile, appelée aussi du nom de ses différents propriétaires : Ile-Chalançois ou Charançois, Ile-Champferré, Guéret, Garnier.
Le roi accorde aussi à son féal bailli d'Orléans, le droit de pêche dans la Loire, et le droit d'avoir colombier, garenne et fossé à poissons.
Jacques Grolot ajoute sans cesse à l'importance de sa terre de l'Isle; il établit dans le voisinage des moulins à eau, un moulin à vent, une tuilerie et une briqueterie.
Il se rend acquéreur des métairies du Mont et du Caillot, obtient du roi, par échange, l'Isle-aux-Boeufs d'une étendue de 84 arpents (*), achète tout ce qu'il trouve à vendre aux environs, et traite avec Pierre Briconnet, seigneur de Cormes, pour le droit de suzeraineté à exercer sur les fiefs de Montantin ou l'Ardoise, paroisse de Saint-Denis-en-Val, de Lagrange, paroisse de Sandillon, quartier de Puchesse, et sur le domaine de Luminart.
Enfin, il institua un prévôt et un greffier pour exercer dans sa seigneurie le droit de justice haute, moyenne et basse.
En 1548, la terre de l'Isle comprenait 671 arpents 25 perches; elle prit dans la suite de nombreux accroissements et atteignit dans sa plus grande étendue 1.077 arpents 83 perches, dont une grande partie relevait en fief du duc d'Orléans.
(*) Pour obtenir les 84 arpents de l'Isle-aux-Boeufs, qui ne se louaient que de 6 deniers à 2 sous l'arpent, il donna 140 arpents de bois, dans la forêt d'Orléans, qui, mis en culture, auraient pu rapporter 10 sous par arpent.
Publié le 01/10/2008 à 12:00 par geneapope
Avertissement.
Combien de livres et d'opuscules a-t-on écrit sur Jehanne d'Arc, la Pucelle d'Orléans !
Personnage mythique s'il en est, et dont les habitants d'Orléans perpétuent encore le souvenir, chaque 8 mai, presque six siècles après la délivrance de leur ville, assiégée par l'armée anglo-bourguignonne.
Bergère, fille du peuple, chef de guerre, aventurière, de sang royal, sorcière, martyre et sainte... que de qualificatifs lui a-t-on attribués !
Elle était sans doute beaucoup de cela, a des degrés divers, et, selon les auteurs, l'un ou l'autre de ces aspects a été exacerbé ou, au contraire, caché.
Quoiqu'il en soit, la Jehanne des manuels scolaires ne correspond pas vraiment à la réalité. Les jeunes, à l'heure actuelle, ne la connaissent pas, bien qu'elle soit pourtant l'un des personnages clés de la reconquête du royaume de France sur l'Angleterre, à l'issue de cette longue guerre qualifiée de "Guerre de Cent Ans", un personnage historique tout à fait important, une jeune femme qui s'inscrit dans les grandes pages de notre histoire, de notre patrimoine.
Mais aussi une personne bien humaine, que l'on peut tenter de cerner à travers les documents, les récits et témoignages parvenus jusqu'à nous, une femme avec ses humeurs, ses désirs, ses défauts, ses aspirations et ses erreurs.
Elle n'en est que plus proche de nous.
Je ne suis point capable, sans doute, de bâtir une oeuvre d'historien, mais dans les pages qui suivent, s'esquisse un peu un portrait de Jehanne, sans doute de manière maladroite, mais toutefois en tentant de l'approcher au plus près. Bien entendu, cette étude n'est point exaustive.
Disons encore que, natif d'Orléans, à quelques dizaines de mètres des endroits où se sont déroulés les évènements d'Orléans, les combats du siège et de la délivrance, plus près encore de la maison de Jacques Boucher, trésorier du duc d'Orléans, qui accueillit Jehanne dans sa demeure, j'ai été forcément bercé par cette parcelle de l'Histoire de France et de celle de la cité ligérienne.
A Dieu ne plaise que quelques uns y trouvent une petite satisfaction, et mon travail n'aura pas été tout à fait inutile.
C'est donc notre propos de parler de Jehanne ! Jehanne d'Arc, dite Jehanne la Pucelle, dite la Pucelle d'Orléans ou la Pucelle de France, ou bien même sans doute Jehanne des Armoises que, selon ses propres dires, à Domrémy on connaissait seulement sous le surnom de Jehanette.
Son nom et son histoire semblent être aujourd'hui oubliés dans les générations montantes, et les manuels scolaires en parlent peu ou mal. Qui s'intéresse à elle de nos jours ?
Elle est pourtant un personnage incontournable de l'histoire du 15ème siècle, et de l'histoire de France en général.
On a beaucoup écrit à son sujet, mais pratiquement toujours de la même manière, la version "officielle" : la jeune bergère obscure de Domrémy, transfigurée et pilotée par ses "Voix" et ses apparitions célestes, qui prend les armes, subjugue le roi, les seigneurs et les soldats, se fait aimer et idôlatrer du peuple, délivre Orléans et fait sacrer un souverain, puis est jugée et condamnée et enfin brûlée en place publique.
Nous verrons que ce schéma ne lui colle pas tout à fait complètement, peut-être sans doute surtout en ce qui concerne ses origines, ses agissements et ses motivations.
Au fil des pages qui vont suivre, on tente de se rapprocher d'elle, de la connaître mieux, car c'est un personnage étonnant et attachant que cette jeune fille au destin si exceptionnel.
On tâchera de cerner tour à tour la petite fille, l'adolescente, la jeune fille, le chef de guerre et le personnage politique, mais sans oublier toutefois que pour ses proches, les gens de son village, elle restera toujours Jehannette.
Cette étude, étayée par des lectures, des emprunts de textes, des recherches personnelles, des documents et autres supports, ne se veut pas exhaustive.
Simplement, on voudrait dans ces pages raconter ce qu'était Jehanne, sa véritable histoire, en y mêlant le mythe, la réalité, la légende, la vérité et les controverses, et l'histoire officielle, afin de connaître un peu mieux ce personnage aux multiples facettes, dont certaines ont été parfois plus en lumière que d'autres.
Que ceux qui liront ces pages soient indulgents. C'est beaucoup de travail et de recherches, et la rédaction et sa mise en forme ne sont pas du tout évidents pour un néophyte de l'écriture.
JP.B
Publié le 30/09/2008 à 12:00 par geneapope
Essai de récit sur le début de la vie de Jehanne.
Le baptême de Jehanne.
- Monsieur le Curé, vous venez, naturellement, jusqu'à la maison, partager avec nous ce repas de baptême.
- Tu es gentille, Zabillet, et je me joindrai à vous avec grand plaisir.
En ce début de l'année 1408, au village de Domrémy, en Lorraine, l'abbé Jehan Minet, curé de l'église vouée à Saint-Rémy, vient de baptiser une petite fille prénommée Jehanne. C'est encore un tout petit bébé.
La famille part vers la maison, située à quelques mètres, et monsieur le curé range son étole et les objets qui ont servi à la célébration, congédiant les deux garnements qui ont servi d'enfants de choeur, leur lançant :
- Il y aura aussi des gâteaux pour vous. Partez, je vous y rejoindrai.
Ils ne se font pas prier et partent en courant. Le bedeau qui avait sonné les cloches pour l'évènement attend monsieur le curé, l'aidant afin d'aller plus vite.
L'église de pierre est petite, mais solide et assez spacieuse pour recevoir la quasi totalité de la population qui se rend à la messe et aux divers services religieux.
C'est un édifice important pour les gens d'ici. Pour le culte, bien sûr, mais aussi comme abri éventuel lors des razzias des hommes de guerre.
Les cloches y rythment la vie, sonnant pour la messe, les vêpres, les matines et les complies, mais aussi pour les baptêmes, les mariages et les enterrements.
Ce sont elles également qui préviennent de la grêle, du feu, de la foudre, et pour signaler les soldats, et, le plus souvent encore, les hordes de pillards qui écument fréquemment le pays, ravageant, dévastant, violant et semant dépossessions, famines, tristesse et meurtres lors de leurs incursions. Il n'empêche que la vie de tous les jours y conserve tous ses droits, et surtout les évènements comme ce baptême.
La famille et les amis atteignent la maison. Il y a là l'entourage habituel des d'Arc.
Jehan Moreau, un laboureur de Domrémy, qui est parrain de Jehanne, un jeune homme d'environ 21 ans (à cette époque on ne connaît pas toujours exactement la date de sa naissance), Béatrice d'Estellin, mariée à un autre laboureur du village, 31 ans, marraine de la petite fille, Jehannette Royer, 21 ans, et une autre marraine, selon l'usage du temps, qui a environ 11 ans, et qui épousera plus tard Tiercelin de Viteau.
Puis Jacques d'Arc, le père de Jehanne, laboureur lui aussi, installé à Domrémy depuis l'an 1390 environ, venant de Ceffonds, âgé d'environ 35 ans. L'un de ses frères est là aussi, Nicolas d'Arc, avec sa femme, une autre Jehanne; également un autre de ses frères nommé Jehan d'Arc.
Les enfants de Jacques, frères et soeur de la petite Jehanne : Jacques, dit Jacquemin, environ 12 ans, Jehan, environ 6 ans, Catherine, dans les 4 ans, et enfin Pierre qui a un peu plus d'un an.
La maman, que l'on surnomme Zabillet, épouse de Jacques, se nomme en fait Isabelle de Vouthon, car originaire de ce village situé dans la région. Elle a environ 30 ans. Plus tard, on la surnommera "Romée", à cause d'un pèlerinage qu'elle entreprendra.
Certains membres de la famille sont là, eux aussi : Jehan de Vouthon, frère d'Isabelle, marié depuis 1405 avec Marguerite Colnel, puis sa soeur, Aveline, fiancée avec Jehan Le Vauseul (ou Le Voyseul) qu'elle épousera en 1410, et également un autre frère d'Isabelle, Mengin de Vouthon et son épouse. Egalement un cousin, Perrinet de Vouthon, qui réside dans la région, à Sermaize, où il exerce la profession de couvreur.
Les amis et les proches, comme les Lassois (ou Laxart) du village de Burey, famille de laboureurs, les Drappier, dont le fils Perrin deviendra marguillier de Domrémy, les Musnier, Syonne, Joyart, Lebuin, Waterin et Turlant, de Domrémy, les Guillemette, de Greux, village frère de Domrémy, et puis encore les voisins dont les Biget (ou Bizet), tous ces gens qu'on fréquente ou avec lesquels on partage la vie et le labeur quotidien.
D'autres cousins, sans doute, du côté du chef de famille, des d'Arc : Guillaume, Raoul et Yvon, qui seront dans les années suivantes des personnages importants, nous le verrons, comblés d'honneurs et de charges conséquentes.
Tous ces gens, suivis des enfants de choeur, de monsieur le curé et du bedeau, sont maintenant devant la maison de Jacques d'Arc, et Isabelle rassemble tous ses invités.
Pour tout ce monde, il fallait de la place, et l'on avait dressé dans la grange, contigüe à l'écurie, deux grandes tables en bois, disposées en L, sur lesquelles des draps étaient posés en guise de nappe.
Un petit lit de bois trône dans le fond, près du mur, pour y faire reposer le bébé, qui restait ainsi le personnage principal, et aussi pour qu'il soit tout près des femmes afin qu'elles puissent intervenir si le besoin s'en fait sentir.
La maison elle-même est en pierres, car Jacques est un notable du village, assez longue, mais basse. Elle est assez massive, avec seulement trois ou quatre fenêtres sur la façade. Le sol est dallé et tout y est simple. Il y a peu de meubles, juste le strict nécessaire : une grande table rustique en bois, des bancs, une maie et la huche dans laquelle on stocke le pain. Des coffres complètent l'aménagement, dans lesquels on range gamelles, vêtements et objets divers.
Les lits, sont des paillasses où l'on dort à deux ou trois, et puis la pièce principale, où se trouve la cheminée, avec son âtre où l'on cuisine et qui chauffe difficilement la maison, ses landiers de fer battu et la crémaillère.
Aux murs, des chevilles de bois et des râteliers pour suspendre les paniers et les vêtements de tous les jours, et quelques chandeliers afin de poser les bougies pour l'éclairage qui reste sommaire.
Les murs sont noircis par la fumée et la suie. Au-dessus de l'entrée, un crucifix avec le buis béni de la dernière fête des Rameaux.
Devant la bâtisse, la cour, dont la terre est dure et poussiéreuse l'été, pleine de boue et d'eau le restant de l'année, et dans laquelle picorent les poules, puis quelques dépendances pour les animaux domestiques.
On pénètre dans la grange, et petit à petit, devisant gaiement, les invités prennent place, les parents, Jacques et Isabelle, s'assoient aux places d'honneur, entourés des parrains et marraines de la nouvelle petite fille présentée aujourd'hui au Dieu qui régit toute la vie religieuse, importante en ces temps, mais aussi journalière.
Sur la table, les écuelles de bois, les cuillères en bois et les plats que l'on se passe les uns aux autres.
Le repas est simple : du porc et des volailles que l'on a cuits dans la grande cheminée, accompagnés de quelques raves (peu de légumes à l'époque). On mange avec les doigts et l'on s'essuie avec la nappe.
Le tout est accompagné de vin clairet de la région que Jacques se fait livrer.
Du fromage, des noix, des pommes et des galettes confectionnées sur place.
Les convives devisent joyeusement, et tout le monde admire le bébé, calme, dans son petit lit, étonné par toutes ces personnes, et légèrement craintif à cause du bruit des conversations animées.
Les gens du village qui passent devant la maison félicitent les parents, et reçoivent généreusement de ces galettes fabriquées en grand nombre pour l'occasion.
C'est un jour calme, heureux, et, le soir venu, tout le monde rentre chez soi, content d'avoir participé à cette fête chez maître Jacques, une personnalité du village.
Demain on va se lever tôt !
Les d'Arc réintègrent leur demeure. Les enfants, excités et fatigués, vont vite dormir, pensant à la nouvelle petite soeur arrivée au foyer. Un évènement important se termine.
Isabelle et Jacques discutent encore un peu avant de s'endormir.
Cet enfant est le cinquième qu'ils vont élever. Mais quel enfant !
Demain est un autre jour. On souffle les bougies, et la maisonnée sombre dans le sommeil.
On révèle à Isabelle qui est Jehanne.
Quelques jours plus tard, une femme met la dernière main à la préparation du maigre bagage qu'elle emmènera pour regagner Paris.
C'est Jehanne, la femme de Nicolas d'Arc, frère de Jacques. Son mari est déjà reparti à cheval, mais elle a tenu à rester quelques temps encore à Domrémy chez sa belle-soeur.
Elle est dame de compagnie dans l'entourage d'un personnage très important : Isabeau de Bavière, la reine, épouse de Charles le sixième du nom, un Valois, qui règne sur la France en ces temps bouleversés.
Dans quelques heures elle profitera du passage d'une caravane de marchands pour faire la route jusqu'à la capitale, dans un chariot.
- Avant de partir, Zabillet, il faut que nous parlions. J'ai des choses importantes à te dire. Viens, marchons un peu.
Les deux femmes cheminent sur la route de terre, gelée par le froid, franchissent un fossé et gagnent un pré derrière l'église.
Il y a une douzaine de jours, Jehanne avait quitté la cour de la reine pour arriver, dans la nuit du 6 janvier 1408 à Domrémy. Un froid terrible durant le voyage !
Accompagnée d'une escorte "royale", son arrivée n'était pas passée inaperçue. Des porteurs de flambeaux avaient jalonné le convoi (privilège réservé aux gens d'importance !), et avaient à tel point éclairé le petit village que des coqs avaient chanté ! Tout cela pour amener chez les d'Arc un bébé de deux mois que l'on attendait pas : la petite Jehanne qu'on venait de baptiser.
On savait pourtant bien qu'Isabelle n'était point enceinte !
Alors, qui était donc cet enfant dont l'arrivée avait provoqué ce tapage nocturne ?
- Zabillet, le messager que j'avais fait envoyer ne vous a pas tout dit ! Cette petite fille est maintenant à votre foyer, et tu pourvoieras à son éducation, je le sais, comme tu l'as promis. Tu recevras périodiquement de l'argent pour son entretien, et tu lui inculqueras les principes de la foi et de la religion, puisqu'elle est destinée à devenir religieuse Clarisse.
- Bien sûr, Jehanne - lui répond Zabillet - ne t'inquiètes pas. D'ailleurs je l'aime déjà ce bébé... elle est si mignonne !
- Oui, mais il est nécessaire que tu en saches plus sur ses origines. Ce n'est pas n'importe quel enfant, c'est une princesse.
- Une princesse...?!
- Elle est la fille de notre reine Isabeau. Mais son père n'est pas le roi, c'est le duc Louis, son frère, avec lequel elle a entretenu une liaison depuis quelques années. Il a été assassiné. Il y avait deux bébés, Jehanne et son frère, un garçon que l'on a appelé Philippe, mais qui est mort juste après avoir été ondoyé, et que l'on a inhumé à Saint-Denis. Pour des raisons d'état dynastiques et aussi de sécurité, il fallait donc, tu peux le comprendre, que l'on fasse disparaître la petite.
Zabillet en reste interloquée.
- Un grand honneur, mais aussi une telle responsabilité... Saurais-je y faire face ?
- Je n'en doute pas - lui rétorque Jehanne - et la reine n'y sera pas indifférente.
Publié le 30/09/2008 à 12:00 par geneapope
Contexte historique du temps de Jehanne.
Entre 1420 et 1439 (en prenant les évènements surtout jusqu'à Jehanne, en 1429-1431)
Gouvernement : Charles VI, puis Charles VII, son fils (Valois).
1420 :
- 21 mai : traité de Troyes.
1421 :
- 22 mars : victoire à Baugé
- 10 juin : débarquement Anglais
1422 :
- 2 mai : perte de Meaux
- 21 octobre : Charles VII devient roi (mais pas encore couronné)
1423 :
- janvier : prise de Melun
- 30 juillet : défaite à Cravant
- 26 septembre : victoire à La Gravelle
- novembre : prise de Compiègne
1424 :
- 17 août : défaite à Verneuil
- 28 septembre : siège du Mont-Saint-Michel
1425 :
- 2 août : perte du Mans
1426 :
- 6 mars : victoire des Anglais à Saint-James-de-Beuvron
1427 :
- 27 février : les Anglais à Pontorson
- 17 avril : échec au Mont-Saint-Michel
- mai : les Anglais à Vendôme
- 5 septembre : victoire de Montargis.
1428 :
- 12 octobre : les Anglais à Orléans
1429 :
- 12 février : journée des Harengs
- 25 février : Jehanne à Chinon
- 8 mai : Jehanne délivre Orléans
- 18 juin : victoire à Patay
- 17 juillet : sacre de Charles VII à Reims
- 8 septembre : échec de Jehanne devant Paris puis à La Charité-sur-Loire
1430 :
- 24 mai : échec à Compiègne et emprisonnement de Jehanne
- 11 juin : victoire à Authon
1431 :
- 30 mai : mort de Jehanne sur le bûcher à Rouen.
("Contexte, un guide chrono-thématique", de Thierry Sabot, Histoire Généalogie - 2007 - ISBN 978-2-9505325-0-3)
Publié le 30/09/2008 à 12:00 par geneapope
Contexte quotidien au temps de Jehanne.
Hygiène, santé, médecine
Epidémie de grippe en 1427, de coqueluche de 1432 à 1433 et de variole en 1433-1434 et 1438. A partir de 1438, la grippe et la peste touchent la quasi totalité de l'Europe.
Vie religieuse
A partir de 1420, diffusion de la Bible des Pauvres, imprimée par un procédé xylographique.
En 1425, Henri de Gorkum publie le Traité des Superstitions.
Vers 1426, large diffusion dans le royaume de L'Imitation de Jésus-Christ de Thomas a Kempis.
Vers 1430, diffusion des idées et pratiques issues de la lecture de la Devotio Moderna, un mouvement de renouveau spirituel qui préconise la recherche d'une vie sainte par la réflexion sur la Passion du Christ (voir ci-dessus Thomas a Kempis).
[uTransports et communications[/u]
A partir de 1435, "les écorcheurs", des bandes de routiers mercenaires, écument les routes, brûlent les villages et massacrent la population (cf. les descriptions des chroniques, les contrats de défrichements et de reconstruction, souvent "à longes années" ou sur une vie).
Vie économique
De 1420 à 1422, désordre et effondrements monétaires, puis inflation galopante.
En 1420, afin de concurrencer Genève, des privilèges royaux sont accordés à la ville de Lyon pour la tenue de deux foires annuelles de six jours chacune.
En 1420, une ordonnance nous renseigne sur les compagnonnages : "Plusieurs compaignons et ouvriers de plusieurs langues et nations aloient et venoient de ville en ville pour apprendre, congnoistre, veoir et savoir les uns des autres..."
Disettes dans le sud du royaume en 1420 et 1421.
A partir de 1422 et jusqu'à la mise en place d'un impôt permanent (vers 1439), le roi doit réunir tous les ans les Etas de langue d'oïl et ceux de langue d'oc pour obtenir l'argent nécessaire à ses besoins.
Les terribles hivers de 1423 et 1425 perturbent l'économie.
L'écu d'or devient la principale espèce royale à partir du règne de Charles VII (écu d'or à la couronne depuis 1385 et écu d'or au soleil à partir de 1475).
Vers 1430, chute des activités rurales, artisanales et commerciales avec notamment la disparition des foires de Champagne lorsque la route entre Paris et Chalon est interrompue.
Famine dans le sud du royaume en 1430-1433.
Vers 1435, les aides (impôts directs) sont rétablies sous la forme d'une taxe sur les marchandises et elles deviennent permanentes.
Société
Vers 1420, les Lombards, lassés d'être spoliés par le pouvoir, quittent le royaume.
Des tziganes sont signalés dans le royaume vers 1422 en Provence, et vers 1427 à Paris.
En 1422, même si les vagabonds restent perçus comme des oisifs inutiles à la société, ils sont maintenant définis comme un danger pour l'ordre public (vols, maraudages...)
A partir de 1430, développement du jeu du tir à l'arc dans les villes et les villages.
Vie militaire
Vers 1428, le duc de Bourgogne fonde l'ordre de chevalerie de la Toison d'Or.
En 1429, première utilisation, au siège d'Orléans, d'une nouvelle arme : la couleuvrine (note de JP.B)
Vie matérielle
Apparition des coiffures hautes et notamment du hennin, coiffure en forme de bonnet conique, très haut et rigide, à cornes rembourrées de cheveux, pour les femmes de la cour et les riches citadines.
En 1428, le prédicateur Thomas Conecte condamne les hennins parce qu'ils évoquent le diable.
Sciences et techniques
Développement des ciseaux à charnière et du tout à fileter. Le rouet remplace la quenouille. On foule désormais au moulin et non plus au pied.
Vie culturelle
Peinture : en 1425, le flamand Jean Van Eyck devient peintre officiel de la cour de Bourgogne.
Lettres : en 1424, Alain Chartier publie Belle Dame sans merci. En 1425, Jean Juvénal des Ursins, Histoire de Charles VI.
("Contexte, un guide chrono-thématique", de Thierry Sabot - Histoire Généalogie - 2007 - ISBN 978-2-9505325-0-3)
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Les évènements de l'époque.
A Domrémy et aux alentours il se passait des choses que Jehanne a dû connaître. Voici quelques évènements qui durent rester dans sa mémoire, qu'elle a connu ou dont elle a entendu parler.
1419 : Jehanne a dû voir (ou du moins connaître) la bataille qui eut lieu à Maxey, face au village de Domrémy.
L'allemand Robert de Saarbruck, dit "le Damoiseau de Commercy" livra bataille aux frères Didier et Durant, pour des raisons obscures (c'étaient tout des pillards !)
La femme de Thiesselin de Vittel, une des marraines de Jehanne, eut son mari, écuyer, fait prisonnier par ce Robert. Il fut libéré, avec 34 autres, contre bonne rançon.
Cette année-là, les Anglais prirent Rouen.
1420 :Baudricourt, Armagnac (donc pour le Dauphin), capitaine de Vaucouleurs, a capturé et rançonné les ambassadeurs qu'envoyait à l'évêque de Verdun le duc de Bourgogne. Aussi, la châtellenie est-elle ravagée par des bandes d'anglais ou bourguignons.
1423 : Le Dauphin fait appel à la noblesse de tout le pays, après l'écrasement de ses armées à Cravant. Cette défaite fut connue dans le pays de Jehanne par les soldats de Etienne de Vignolles, dit La Hire, venu dans le Barrois réclamer au Cardinal-duc le paiement d'une créance un peu trop négligée à son gré.
La Hire, comme Duguesclin, est un homme d'audace et de bravoure, mais aussi de surprise, de feinte, de stratagème. Il sera plus tard l'un des compagnons de Jehanne.
Mengette, grande amie de Jehanne, et "sa cousine" (fille de Jehan de Vouthon, frère d'Isabelle "Romée", mère de Jehanne) est mariée depuis deux ans à Collot Turlant.
La Hire, terrible soldat de Gascogne qui guerroye pour le Dauphin, est donc venu régler ses comptes avec le duc de Lorraine, dans le Barrois, à coups d'épée. Il se retranche à Sermaize, dont l'église est fortifiée, pressé par le gouverneur du Barrois qui l'y tient assiégé avec de l'artillerie et un corps de 200 chevaux. Le pauvre Collot Turlant, atteint par un coup de bombarde, tiré par les Lorrains, y meurt.
Jacques d'Arc, à Domrémy, est le doyen de la communauté. Le recouvrement des impôts, le soin de la police et du guet, chef des archers, la garde des prisonniers, et l'application des ordonnances l'informent de beaucoup de choses qui restent secrètes au plus grand nombre. "Jehannette" doit voir, écouter, observer....
Jacques d'Arc a reçu la visite des émissaires du "damoiseau de Commercy", qui offre alors de protéger le village, et il demande 220 écus d'or par année, que Jacques doit collecter et verser avant "la Saint-Martin d'hiver", sinon : otages, pillages... feu au village...
Pendant ce temps, le Dauphin négocie des engagements de mercenaires avec l'Italie, et aussi l'Ecosse et l'Espagne.
On citait même des chiffres : 1.500 italiens, autant d'espagnols, 5.000 écossais, et le "royaume de Bourges" fournirait bien encore 5 ou 6.000 français.
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Le village de Domrémy.
Intéressons-nous au village de Domrémy, lieu où Jehanne a été élevée et où elle a passé tout son temps jusqu'à son départ vers le roi, vers son destin.
Elle y vécut sans doute la meilleure partie de son existence, partageant son temps entre les travaux des champs, l'aide au ménage, les jeux avec ses amis, tout cela entrecoupé d'une pratique religieuse intense.
Peut-être 30 feux : un hameau, dans la vallée de la Meuse, entre duché de Lorraine et duché de Bar, dépendant du seul fief de la couronne française : la châtellenie de Vaucouleurs, apportée en mariage par l'héritière de Champagne et de Navarre à Philippe le Bel. Charles V le Sage la déclare unie pour toujours au domaine royal.
La limite méridionale de la châtellenie coupait en deux parts le village, en suivant le ruisseau des Trois-Fontaines (car alimenté par trois sources). Petit cours d'eau fluet (on le sautait d'un pas, et le pont devant l'église était fait d'une dalle), qui se jetait dans la Meuse.
La partie du village qui regardait au midi était de Barrois, l'autre, au septentrion, était de France et strictement royale.
La maison de Jehanne était "la première de France".
La maison est assez longue, basse, massive et obscure. Une ou deux fenêtres en façade. Le sol nu est de terre battue. Les meubles du Moyen Age sont rudimentaires : table rustique, escabeaux, la maie, les coffres et la huche.
Dans l'âtre : les landiers de fer battu, la crémaillère.
Aux parois : grossières chevilles, râtelier pour les paniers, 2 ou 3 chandeliers de bois.
Les murs sont noircis par la fumée et la suie. Un crucifix naïf dans l'embrasure, couronné par le buis béni des Rameaux.
Devant la porte, une aire poussiéreuse l'été, fangeuse en toute autre saison, souillée du purin qui stagne.
Des poules qui picorent. A côté : des dépendances pour les animaux domestiques.
Derrière la maison, jouxtant l'église, le courtil touche au cimetière.
A l'église, des cloches sonnent les messes, vêpres, matines et complies, mais aussi les baptêmes, les mariages et les enterrements. Elles préviennent aussi pour la grêle, le feu, la foudre ou les bandes armées, par petits détachements armés, amis mais plus souvent ennemis, dont la venue signifiait parfois dépossession et famine pour les malheureux laboureurs.
On pense qu'Isabelle avait apporté cette maison en douaire à son mari, à leurs épousailles, au début du 15ème siècle.
Mais la grande voie romaine la longe. Filant, tricotant ou cousant, les femmes voyaient passer la vie du monde : les courriers du duc de Bourgogne, du roi, de l'Empereur, les marchands et les émissaires qui se rendaient de Flandres en Bourgogne, en Savoie, en Italie; les messagers des Papes, les clercs et les laïcs que les conciles interminables, les assemblées toujours renouvelées suscitées par le Grand Schisme, détachaient d'Avignon, de Rome, de Bâle, de Constance, en quête d'informations... Les voyageurs, les marchands et colporteurs aussi.
La Meuse est là, tout près, avec ses bouleaux, osiers, trembles, aulnes, noisetiers, hêtres et peupliers. Dans les bois et sur les pentes : chênes et châtaigniers.
A côté, les villages de Greux et Maxey; un peu plus loin, les deux Burey (le Petit et le Grand), et à 5 lieues Vaucouleurs.
A une demi-lieue du village, se trouve "La Fontaine aux Bonnes Fées", où les fiévreux y buvaient pour recouvrer la santé, placée au-dessus de la route de Neufchâteau, et à l'orée du "Bois Chenu" que Jehanne aperçevait de la maison.
Près de la fontaine s'élevait le "Beau Mai" ou "Arbre des Dames" (déjà centenaire au temps de Jehanne) et qui était d'une forme rare pour un hêtre, car ses branches formaient un dôme arrondi et pendaient jusqu'à terre. On le vénérait.
Jehanne habitait en France, car la maison était au-delà du ruisseau qui formait la frontière entre châtellenie de Vaucouleurs et celle de Bourlemont dont dépendait le midi du village.
Le dimanche de Laetare, au printemps, les jeunes gens de Domrémy allaient au "Beau Mai" pour y "faire leurs fontaines". On buvait à la fontaine, et on mangeait des galettes ou petits pains, des noix ou des pommes d'hiver, peut-être un fromage sec ou autres menues friandises.
On dansait au son de flûtes rustiques. On cueillait des fleurs que l'on tressait pour faire des guirlandes qu'on attachait aux rameaux, ou encore des couronnes qu'on rapportait parfois au village, à la maison, ou avec lesquelles on décorait l'église.
Jehanne aurait dû "faire ses fontaines" avec la jeunesse de Greux à la chapelle de Notre-Dame de Bermont, mais elle préférait accompagner Hauviette et Mengette, sans doute serves de Bourlémont, qui "faisaient leurs fontaines" au "Beau Mai".
A quelques lieues au sud, commençait le duché de Bourgogne, explication des fréquentes incursions dévastatrices des troupes Bourguignonnes dans la région.
Le duché de Lorraine ne nous sera rattaché qu'au 18ème siècle.
Villes plus importantes non loin de Domrémy :
Vaucouleurs :
Châtellenie royale du bailliage de Chaumont. 19 kms au nord de Domrémy.
Imposant château dont il ne reste que des vestiges.
Capitaine : Robert de Baudricourt, fils du Lorrain Liébaud, chambellan du duc de Bar (c'est-à-dire René d'Anjou, futur beau-frère de Charles VII), et d'une champenoise, dame Marguerite d'Aunoy.
En 1477, il deviendra bailli de Chaumont, puis chambellan du duc René d'Anjou.
Son fils, Jehan de Baudricourt, servira Louis XI et Charles VIII. Le premier le choisira comme gouverneur de la Bourgogne en 1480, le second le nommera Maréchal de France en 1488.
La ville de Vaucouleurs était aussi une ville commerçante, avec un port sur la Meuse, à un kilomètre de ses murailles, par où transitaient les marchandises en provenance de la Bourgogne vers Chaumont et vers les villes de l'Empire.
Jehan d'Arc, frère de Jehanne, y sera prévôt de 1455 à 1469.
Neufchâteau :
A deux heures de marche de Domrémy, au confluent de la Meuse et du Mouzon.
Cité de transit. Commerce des vins de Champagne et de Bourgogne qu'on exportait jusqu'en Flandres, et aussi des produits de laiterie.
Les habitants confiaient aux habitants de Domrémy leurs bestiaux à nourrir durant la belle saison.
Le roi de France y comptait de fidèles sujets.
Publié le 30/09/2008 à 12:00 par geneapope
Les gens de Domrémy.
Entre 225 et 250 habitants environ, soit à peu près 25 feux de 8 à 10 personnes.
Petit village sur la Meuse.
La population fut sollicitée au Procès de Réhabilitation (ou de Nullité), en 1456, en proportion d'un témoin par feu en moyenne.
Les 21 témoins de 1456 :
- Jehan MOREL, laboureur
- Dominique JACOB, prêtre
- Béatrice, veuve ESTELIN, veuve de laboureur
- Jehannette, épouse Le ROYER
- Jehan, dit MOEN, charron. Aussi maréchal-ferrant
- Estienne de SYONE, prêtre
- Jehannette, veuve Thiesselin (Thiesselin de Vittel était un clerc)
- Louis de MARTIGNY, laboureur
- Thévenin Le ROYER, laboureur, mari de Jehanne ci-dessus - Noble
- Jaquier de SAINT-AMANT, laboureur
- Bertrand LACLOPPE, couvreur
- Perrin DRAPPIER
- Gérard GUILLEMETTE, laboureur
- Hauviette de SYONE, épouse de Gérard, laboureur
- Jehan WATERIN, laboureur
- Gérardin d'EPINAL, laboureur
- Simonin MUSNIER, laboureur
- Isabelle d'EPINAL, épouse de Gérardin (ou Girardin), plus haut
- Mengette JOYART, épouse de Jehan, laboureur
- Jehan COLIN, prêtre
- Colin (fils de Colin), laboureur.
Renseignements sur certains de ces témoins :
- Jehan MOHEN - 12 ans à la naissance de Jehanne; meurt après 56 ans. Sa maison était voisine de celle des d'Arc. Du seuil de la maison, direction de Neufchâteau, à mi-hauteur d'une colline aux pentes raides, distante d'un peu moins de deux kilomètres, était un bois touffu, planté de chênes, qu'on nommait pour cette raison "le bois chenu" (de nos jours défriché et sans chêne). A l'orée de ce bois, un grand, gros et vieil arbre, nommé "arbre des Dames" et/ou "arbre des fées".
- Bertrand LACLOPPE - Couvreur de toits à Domrémy; parlant de cet arbre, précise qu'il s'agit "d'un hêtre très courbe" (Procès en nullité). On y trouvait le "Mai" ou "beau Mai", terme populaire pour désigner tout élément végétal (une branche, un rameau, un bouquet) que la jeunesse masculine du village allait cueillir dans la nuit du 1er mai, pour la planter sur la place du village, afin d'honorer les jeunes filles à marier.
Fête attestée, en particulier en Lorraine, depuis le 13ème siècle.
Jehanne désigne sans doute par le "Mai" les feuillages de "l'arbre aux Dames", ce hêtre que l'on utilisait pour cette fête populaire. Les jeunes filles dansaient et s'amusaient près de cet arbre et tressaient des guirlandes de feuillage et de fleurs.
Près de cet arbre, une source, réputée bonne pour la santé ou la guérison. Jehanne avait entendu dire par Jehanne épouse "du maire Aubri", "intendant rural représentant le seigneur de Bourlemont), et qui était l'une de ses marraines, qu'elle y avait vu "les Dames Fées".
- Béatrice, veuve d'ESTELLIN - (Estellin était un laboureur de Domrémy). Béatrice avait 36 ans à la naissance de Jehanne et mourut à plus de 80 ans. C'était une autre des marraines de Jehanne.
- Jehannette Le ROYER - Femme de Thévenin. Elle a environ 26 ans à la naissance de Jehanne, et meurt à plus de 70 ans. Une autre des marraines de Jehanne.
Thévenin, son mari, a le même âge et meurt aussi à plus de 70 ans.
- Jehannette, veuve de Thiesselin de VITTEL (habite Neufchâteau au moment du Procès de Nullité). Elle a 16 ans à la naissance de Jehanne et meurt après 60 ans.
Elle a dit que Jehanne ne s'adonnait pas à la danse, et qu'elle ne jurait pas, à l'exception de "sans faute".
- Jaquier de SAINT-AMANT - Laboureur à Domrémy, 16 ans à la naissance de Jehanne. Meurt à plus de 60 ans. Jehanne venait parfois dans sa maison pour y filer avec sa fille.
- Jehan MOREL - 26 ans à la naissance de Jehanne, et son parrain. Il meurt après 70 ans. Laboureur, et sans doute ami de Jacques d'Arc. Il est né à Greux.
Les âges de certains de ces témoins, en 1456, lors de l'interrogatoire pour le Procès de Nullité :
- Bertrand LACLOPPE, 90 ans
- Perrin DRAPPIER, 60 ans
- Gérard GUILLEMETTE, 40 ans
- Hauviette de SYONE, femme de Gérard, 45 ans
- Jehan WATERIN, 45 ans
- Gérardin d'EPINAL, 60 ans
- Simonin MUSNIER, 44 ans
- Isabelle d'EPINAL, 50 ans
- Mengette JOYART, femme de Gérardin, 46 ans
- Jehan JOYART, 46 ans
- Colin, fils de Colin, 50 ans.