Mensonge d'état.
LA REALITE AURA ETE SOIGNEUSEMENT CACHEE AUX POPULATIONS LOCALES APRES LES PREMIERS ESSAIS NUCLEAIRES FRANCAIS EN POLYNESIE.
UNE EXCELLENTE ENQUETE DE "THALASSA".
Pour sa rentrée, avec le reportage intitulé "le Cancer du Tropique", "Thalassa" fait très fort dans la politiquement incorrect : ici, en effet, on a le culot de prendre le général de Gaulle en flagrant délit de mensonge.
"Naturellement, vous le savez, affirme la glorieuse voix lors d'un voyage à Papeete avant le début des expériences nucléaires,
"toutes les dispositions ont été prises. Aucun danger ni aucun inconvénient d'aucune sorte ne menacent les chères populations de la Polynésie."
Tu parles, Charles ! Oui, le pompeux général était un fieffé menteur. Non, toutes les dispositions n'avaient pas été prises, loin s'en faut. En effet, quarante-cinq ans plus tard, les preuves abondent que les populations polynésiennes ont été soumises à des retombées radioactives très supérieures aux normes considérées comme admissibles.
Aujourd'hui les témoins parlent. Les documents officiels surgissent. Et les statistiques médicales sont éloquentes, avec des taux de cancers et de malformations chromosomiques très au-dessus de la normale.
Les documents les plus accablants ont été exhumés par notre ami Vincent Jaubert, qui avait reçu, en 1998, l'autorisation d'aller fouiller des cartons de paperasses militaires classées secret défense. Cette autorisation devait résulter d'une étourderie car, après quelques jours de travail, notre collaborateur fut poliment prié d'aller poursuivre ses enquêtes ailleurs. Heureusement, il avait eu le temps de faire quelques photocopies.
Ainsi, avant même le tout premier essai nucléaire polynésien, une étude officielle du CEA affirmait :
"La moindre retombée fera absorber aux populations une dose supérieure aux seuils admissibles."
On n'en a bien sûr tenu aucun compte. Un autre document précise même, à propos des îlots habités, qu'avant les tirs,
"toute évacuation préventive est exclue pour des motifs politiques."
En clair, il ne fallait surtout pas laisser planer le moindre doute sur l'innocuité absolue de ces essais nucléaires, une certitude assénée par la télévision d'état, en ce bon vieux temps où il n'y en avait pas d'autre, et où le menu de tout journal télévisé était dicté par un ministre de l'Information du genre Alain Peyrefitte. Ah ! qu'elle était jolie la douce France gaullo-pompidolienne dont certains conservent la nostalgie...
Pourtant, la vérité cachée était connue des responsables. Elle s'étalait noir sur blanc dans ces documents partiellement classés secret défense. On y lit à tout bout de champ des phrases comme :
"Les retombées ont été plus importantes que prévu." "Un peu cyniquement (sic), il nous faut compter sur la dilution atmosphérique pour espérer de moindres retombées à distance."
Des retombées parfois si radioactives qu'elles détraquent les instruments de mesure, lesquels ne mesurent plus rien du tout. De toute façon, pour "ne pas affoler le personnel", on avoue sans cesse avoir maquillé les chiffres. Sur le terrain, aucune mesure de protection n'est prise, ni aucune mise en garde : cela aurait pu inquiéter les "chères populations de la Polynésie."
Lorsqu'une alarme retentit pour signaler un seuil radioactif impliquant une mise à l'abri urgente... on l'éteint. Ainsi, après les tirs, malgré les retombées, on a laissé les habitants de la petite île de Tureia boire comme d'habitude l'eau de pluie, que l'on savait pertinemment être très contaminée.
Tureia se situait, hélas, aux premières loges, à 120 kilomètres de Mururoa : l'armée distribuait des lunettes spéciales, afin que ces gentils indigènes puissent jouir du magnifique spectacle des explosions. Résultat : 9 des 70 adultes de ce minuscule atoll ont depuis succombé à un cancer.
Lorsque, en 1968, avant la glorieuse explosion de la première bombe H française, on s'avisa de songer à leur santé, ce fut pour leur proposer (imposer serait plus juste) "des vacances à Tahiti, offertes par l'armée." La centaine d'habitants fut ainsi transportée quelques jours à Papeete, et n'apprit l'explosion de la bombe H qu'après son retour.
Pas de doute : le général et sa suite les prenaient pour des c... !
Fabien Gruhier.
En encadré :
[i]"Circulez, y a rien à voir.
Malgré les faits, les preuves, les documents, les statistiques médicales, certains obstinés persistent et signent, jurant que les essais nucléaires français n'ont jamais fait de mal à une mouche.
Interrogé sur la curieuse absence d'études épidémiologiques sur les cancers en Polynésie, ceci jusqu'à une date récente, l'ancien fidèle du général, Pierre Messmer, s'exclame : "Mais il n'y avait aucun besoin de telles études puisque tout le monde était en parfaite santé. On ne fait pas non plus d'études surt la peste quand personne n'a la peste."
Passe encore pour ce vénérable gardien du dogme, blanchi sous le harnais du secret d'état à l'ancienne. Mais pourquoi faut-il qu'en 2005 on trouve encore, au ministère des armées, un jeune et sinistre porte-parole capable de nier avec morgue les plus criantes évidences ?
F.G. "[/i]
Article paru dans TELEOBS concernant le magazine Thalassa, sur l'émission du vendredi 16 septembre 2005, à 20 h 55, sur France3.
Commentaire :
Et nous, les marins, militaires aussi, qui écumions, en mer, toute la région et la zone des tirs, pour la surveiller et empêcher toute intrusion intempestive, nous étions souvent très près des sites.
Jamais on ne nous a avertis de quoi que ce soit !
Nous avions bien sûr de maigres combinaisons de protection, un masque à gaz "genre 39/45", et un badge réactif dont on ne nous a jamais donné les résultats d'analyses (si toutefois ils ont été analysés !). Nous assistions aussi aux explosions, sur le pont des navires. La seule consigne donnée était de tourner le dos aux sites lors des explosions nucléaires. Mais, après, nous pouvions tout de suite nous retourner pour regarder le champignon grandir.
Nous étions bien trop près ! Nous avions 19 ou 20 ans, guère plus. On ne se posait pas de question !
De plus, nous étions contents de participer à cette aventure, au bout du monde, dans le Pacifique et les îles que l'on disait "paradisiaques".
Nous étions militaires, engagés de longue durée, et devions servir l'Etat.
Et de quoi nous plaindrions-nous ? Entre deux demi-campagnes, nous séjournions au Centre de repos de Mataïea, près de Papeete, véritable "Club Med." militaire où nous avions tous les loisirs possibles ! Et la solde était bien plus importante qu'en Métropole !
Je voudrais en profiter pour saluer ici la mémoire de deux camarades, lors de la première campagne d'essais nucléaires, en 1966, qui y ont laissé leurs vies.
Il s'agit du lieutenant de vaisseau G....., mort en service aérien commandé, en vol sur son "Etendard", le 7 juin 1966.
Du matelot d'équipage aéro H........., mort en service commandé, le 9 juillet 1966, sur le pont d'envol du porte-avions FOCH, dans des conditions affreuses.
Il allait avoir 19 ans le lendemain et j'allais, le même jour, en avoir 20 !
Honnissons la folie des hommes !
Photo : le général de Gaulle, sur le "De Grasse", en 1966, lors de la première campagne d'expérimentations nucléaires en Polynésie.
On aperçoit derrière lui Pierre Messmer, alors ministre des armées.
LE CAP HORN - Souvenir de mer
Je suis un "Cap Hornier", et j'en suis fier !
Sur la route des trois caps, dans les mers du Sud, ce cap, situé tout en bas du continent américain, à l'extrémité de la Terre de Feu, est situé sur le territoire du Chili.
Il est difficile à passer, et doubler le Cap Horn a toujours été un honneur pour les hommes de mer.
On devenait alors un vrai marin, et on avait le droit de "cracher au vent", pour peu qu'on avait aussi déjà passé les deux autres caps.
Mais "le Cap", comme l'appellent familièrement les anciens Cap Horniers, n'est pas un point géographique sur la carte du monde, un pic sombre aux confins des mers du Sud éternellement malveillantes, une terre de désespérance, un rocher hostile et noir jailli de la tempête.
C'est avant tout le symbole d'une épopée glorieuse et magnifique, de Magellan qui en découvrit le détroit, aux fiers clippers qui ramenaient la laine d'Australie et les épices et le thé des Indes, et jusqu'aux navigateurs solitaires qui le franchissent aujourd'hui sur leurs immenses catamarans, équipés comme des formules 1.
Perdus au milieu des éléments déchaînés, les anciens et la voile et ceux d'aujourd'hui se sentent fraternellement unis. Pour les clippers, les itinéraires d'est en ouest entraient dans le golfe de Patagonie, et s'écartaient très au large du Chili dans le Pacifique.
Les passages de retour, d'ouest en est, serraient la côte au plus près, et convergeaient à l'est des Malouines avant d'entreprendre la traversée de l'Atlantique.
Pour franchir le Cap Horn, il est nécessaire d'aller jusqu'à cinquante six degrés de latitude. C'est une limite, car plus bas c'est l'Antarctique, les icebergs et la banquise. Des centaines de navires se sont perdus et ont disparu dans ces parages, corps et biens", dont on ne retrouve plus rien. Combien de marins dorment au fond de ces eaux redoutables !
C'est dire dans quel état d'esprit j'étais tandis que l'on progressait dans l'océan Pacifique, venant de Tahiti, en ce début d'octobre 1966. Plus "le Horn" approchait, et plus j'étais partagé entre l'angoisse de franchir ces lieux redoutés, et la fierté pour l'exceptionnelle chance qui s'offrait à moi de faire partie prenante de tous ces fiers marins, cette élite des mers, qui l'avaient franchi au travers des siècles de navigation, et souvent dans des conditions bien plus précaires.
Le "Foch", porte-aéronefs de 32.000 tonnes, taillait sa route. Le temps fraîchissait, la houle devenait plus forte et plus sournoise. La pluie et le brouillard s'ajoutaient au froid, et le bateau tanguait et roulait de plus en plus, fêtu de paille, malgré sa taille et son poids, sur cette mer déchaînée.
A bord, on se déplaçait difficilement, les coursives étant dans un perpétuel mouvement de va-et-vient. Il fallait tout capeler, tout ranger afin d'éviter les heurts et les bris de multiples objets et équipements.
Il était pratiquement impossible, pour ceux qui avaient faim, de prendre un repas normal, les plateaux de nourriture glissant d'un bout à l'autre des tables fixées au sol.
Et comment dormir dans nos banettes en perpétuel mouvement ? Et puis le bruit du vent, le vent énorme, qui se déchaînait et couvrait même le ronron des moteurs.
L'angoisse, aussi, qui nous tenait au ventre. Nous avions pourtant parcouru bien des milles sur toutes les mers, doublé Bonne-Espérance, franchit les 40ème rugissants, traversé l'océan Indien...
Oh, la mer d'Iroise et le golfe de Gascogne n'étaient assurément que peu de chose comparés à cette mer là !
Mais, poussé quand même par la curiosité, je décidais de voir dehors. Ayant dévérouillé une porte étanche qui donnait sur un sponçon d'artillerie, tout de même à une hauteur importante par rapport à la ligne de flottaison, je vis, en quelques secondes, des rochers noirs, déchiquetés, à travers la brume et la pluie.
Vision fugitive, très vite remplacée par une masse d'eau, une vague énorme plus haute qu'une maison, tandis que le bateau semblait s'enfoncer dans l'abîme. La porte fut très vite refermée, et je regagnais mon poste d'équipage empreint d'un sentiment de petitesse et d'écrasement.
Nous mîmes deux jours à doubler le Cap Horn. Une fois passé les Malouines, et poussant désormais la vitesse par un temps plus clément, la navigation nous sembla être une simple promenade jusqu'au large de Rio-de-Janeiro.
De là, Gibraltar, la Méditerranée et Toulon. Puis de nouveau Gibraltar et le golfe de Gascogne pour cingler vers la Bretagne et Brest, notre port d'attache, où le bateau devait subir un carénage de quelques mois, durée qui fut mise à profit pour prendre une permission bien méritée après ce périple de neuf mois autour du monde.
Les émotions à doubler ce cap redouté sont toujours présentes à mon esprit, accompagnés du bonheur de l'avoir fait... et d'être un "Cap Hornier."