Le village de Domrémy.
Intéressons-nous au village de Domrémy, lieu où Jehanne a été élevée et où elle a passé tout son temps jusqu'à son départ vers le roi, vers son destin.
Elle y vécut sans doute la meilleure partie de son existence, partageant son temps entre les travaux des champs, l'aide au ménage, les jeux avec ses amis, tout cela entrecoupé d'une pratique religieuse intense.
Peut-être 30 feux : un hameau, dans la vallée de la Meuse, entre duché de Lorraine et duché de Bar, dépendant du seul fief de la couronne française : la châtellenie de Vaucouleurs, apportée en mariage par l'héritière de Champagne et de Navarre à Philippe le Bel. Charles V le Sage la déclare unie pour toujours au domaine royal.
La limite méridionale de la châtellenie coupait en deux parts le village, en suivant le ruisseau des Trois-Fontaines (car alimenté par trois sources). Petit cours d'eau fluet (on le sautait d'un pas, et le pont devant l'église était fait d'une dalle), qui se jetait dans la Meuse.
La partie du village qui regardait au midi était de Barrois, l'autre, au septentrion, était de France et strictement royale.
La maison de Jehanne était "la première de France".
La maison est assez longue, basse, massive et obscure. Une ou deux fenêtres en façade. Le sol nu est de terre battue. Les meubles du Moyen Age sont rudimentaires : table rustique, escabeaux, la maie, les coffres et la huche.
Dans l'âtre : les landiers de fer battu, la crémaillère.
Aux parois : grossières chevilles, râtelier pour les paniers, 2 ou 3 chandeliers de bois.
Les murs sont noircis par la fumée et la suie. Un crucifix naïf dans l'embrasure, couronné par le buis béni des Rameaux.
Devant la porte, une aire poussiéreuse l'été, fangeuse en toute autre saison, souillée du purin qui stagne.
Des poules qui picorent. A côté : des dépendances pour les animaux domestiques.
Derrière la maison, jouxtant l'église, le courtil touche au cimetière.
A l'église, des cloches sonnent les messes, vêpres, matines et complies, mais aussi les baptêmes, les mariages et les enterrements. Elles préviennent aussi pour la grêle, le feu, la foudre ou les bandes armées, par petits détachements armés, amis mais plus souvent ennemis, dont la venue signifiait parfois dépossession et famine pour les malheureux laboureurs.
On pense qu'Isabelle avait apporté cette maison en douaire à son mari, à leurs épousailles, au début du 15ème siècle.
Mais la grande voie romaine la longe. Filant, tricotant ou cousant, les femmes voyaient passer la vie du monde : les courriers du duc de Bourgogne, du roi, de l'Empereur, les marchands et les émissaires qui se rendaient de Flandres en Bourgogne, en Savoie, en Italie; les messagers des Papes, les clercs et les laïcs que les conciles interminables, les assemblées toujours renouvelées suscitées par le Grand Schisme, détachaient d'Avignon, de Rome, de Bâle, de Constance, en quête d'informations... Les voyageurs, les marchands et colporteurs aussi.
La Meuse est là, tout près, avec ses bouleaux, osiers, trembles, aulnes, noisetiers, hêtres et peupliers. Dans les bois et sur les pentes : chênes et châtaigniers.
A côté, les villages de Greux et Maxey; un peu plus loin, les deux Burey (le Petit et le Grand), et à 5 lieues Vaucouleurs.
A une demi-lieue du village, se trouve "La Fontaine aux Bonnes Fées", où les fiévreux y buvaient pour recouvrer la santé, placée au-dessus de la route de Neufchâteau, et à l'orée du "Bois Chenu" que Jehanne aperçevait de la maison.
Près de la fontaine s'élevait le "Beau Mai" ou "Arbre des Dames" (déjà centenaire au temps de Jehanne) et qui était d'une forme rare pour un hêtre, car ses branches formaient un dôme arrondi et pendaient jusqu'à terre. On le vénérait.
Jehanne habitait en France, car la maison était au-delà du ruisseau qui formait la frontière entre châtellenie de Vaucouleurs et celle de Bourlemont dont dépendait le midi du village.
Le dimanche de Laetare, au printemps, les jeunes gens de Domrémy allaient au "Beau Mai" pour y "faire leurs fontaines". On buvait à la fontaine, et on mangeait des galettes ou petits pains, des noix ou des pommes d'hiver, peut-être un fromage sec ou autres menues friandises.
On dansait au son de flûtes rustiques. On cueillait des fleurs que l'on tressait pour faire des guirlandes qu'on attachait aux rameaux, ou encore des couronnes qu'on rapportait parfois au village, à la maison, ou avec lesquelles on décorait l'église.
Jehanne aurait dû "faire ses fontaines" avec la jeunesse de Greux à la chapelle de Notre-Dame de Bermont, mais elle préférait accompagner Hauviette et Mengette, sans doute serves de Bourlémont, qui "faisaient leurs fontaines" au "Beau Mai".
A quelques lieues au sud, commençait le duché de Bourgogne, explication des fréquentes incursions dévastatrices des troupes Bourguignonnes dans la région.
Le duché de Lorraine ne nous sera rattaché qu'au 18ème siècle.
Villes plus importantes non loin de Domrémy :
Vaucouleurs :
Châtellenie royale du bailliage de Chaumont. 19 kms au nord de Domrémy.
Imposant château dont il ne reste que des vestiges.
Capitaine : Robert de Baudricourt, fils du Lorrain Liébaud, chambellan du duc de Bar (c'est-à-dire René d'Anjou, futur beau-frère de Charles VII), et d'une champenoise, dame Marguerite d'Aunoy.
En 1477, il deviendra bailli de Chaumont, puis chambellan du duc René d'Anjou.
Son fils, Jehan de Baudricourt, servira Louis XI et Charles VIII. Le premier le choisira comme gouverneur de la Bourgogne en 1480, le second le nommera Maréchal de France en 1488.
La ville de Vaucouleurs était aussi une ville commerçante, avec un port sur la Meuse, à un kilomètre de ses murailles, par où transitaient les marchandises en provenance de la Bourgogne vers Chaumont et vers les villes de l'Empire.
Jehan d'Arc, frère de Jehanne, y sera prévôt de 1455 à 1469.
Neufchâteau :
A deux heures de marche de Domrémy, au confluent de la Meuse et du Mouzon.
Cité de transit. Commerce des vins de Champagne et de Bourgogne qu'on exportait jusqu'en Flandres, et aussi des produits de laiterie.
Les habitants confiaient aux habitants de Domrémy leurs bestiaux à nourrir durant la belle saison.
Le roi de France y comptait de fidèles sujets.