Un pari sur la mort de Jeanne d'Arc en 1437.
(Transcription d'un extrait du Bulletin des Amis du Vieux Chinon)
Cette hypothèse au sujet de la mort de Jehanne sur le bûcher, à Rouen, en mai 1431, fut controversée très tôt.
Dès les premières années après sa mort "officielle", on se posait déjà la question de savoir si elle n'avait pas survécu.
Voici, reproduit in-extenso, un texte qui nous parle d'un pari sur le mort de Jehanne, en l'année 1437.
"Grâce à l'amabilité d'un de nos correspondants du Gard, M. G. Marquié, de Laudun, nous avons eu communication d'un article d'Henry Villard paru dans les
Annales de la Société d'Etudes provençales", T.III, 1906, p. 207-214, intitulé "Un pari sur la mort de Jeanne d'Arc en 1437", fait cinq ans après le supplice de l'héroïne, entre un gentilhomme de Maillane et un cordonnier d'Arles, le premier tenant pour la mort de Jeanne d'Arc sur le bûcher de Rouen et le second pour la version de la survie (Jeanne des Armoises...).
La Provence, pourtant bien loin du champ de bataille, s'intéressait au premier chef à la mission de Jeanne : les comptes de Brignoles montrent qu'en mai-juin 1429 une procession avait eu lieu pour célébrer la prise d'Orléans. Jacques Gélu, archevêque d'Embrun, écrivait à Charles VII en 1429 qu'il reconnaissait la mission providentielle de la Pucelle et, comme nous le verrons, un pari original fut pris à Arles concernant sa survie. (NDLR)
"Un manuscrit de la Bibliothèque publique d'Arles (1), accentuera sous une forme originale, mais à un point de vue différent, l'impression qu'avaient alors, dans nos régions provençales, les diverses classes de la Société sur la mission de la Pucelle (2).
"La précieuse compilation de l'abbé Laurent Bonnemant a emprunté à un registre de notaire arlésien, Me Jean Seguin, dont le protocole n'a pu être retrouvé, la relation d'un pari assez original fait en 1437, par conséquent 5 ans après le supplice de l'héroïne, entre un gentilhomme de Maillane (3) et un cordonnier d'Arles. La mort de Jeanne d'Arc était le prétexte de ce nouveau débat du noble et du vilain.
"Le cordonnier Pons Veyrier, disait, prétendait et affirmait, sur les dires de deux ou trois témoins dignes de foi, que Jeanne vulgairement appelée "la Piucella de Fransa", n'avait pas été brûlée par les Anglais (cremata a Rohans per Anglicos), contrairement à l'opinion de plusieurs, mais qu'elle était vivante à l'heure actuelle (in presenti die vivere). Le seigneur, Jean Romey, moins crédule, ou mieux renseigné, tenait pour fausse l'allégation du cordonnier. D'où l'acte notarié, rédigé en présence de trois témoins devant la porte de la boutique de ce dernier, par lequel le seigneur offrait le meilleur cheval de sa manade, à l'exception de deux étalons barbes, à Pons Veyrier, si celui-ci pouvait prouver, dans le délai d'un an, à partir de ce jour, sur le témoignage de deux ou trois personnes dignes de créance, ce qu'il avançait. Dans le cas contraire, son compétiteur s'obligeait à lui donner cinq paires de chaussures de peau dite brunette, bonnes et de qualité marchande. Le manuscrit ne dit pas si le sceptique gentilhomme de Maillane perdit son cheval ou gagna les souliers de son trop enthousiaste partenaire.
"Quelqu'en ait été le résultat, ce pari original reproduit bien l'opinion qui avait cours alors dans le peuple, à ce moment là, et qu'une chronique du temps résume en peu de mots :
"Y avoit donc maintes personnes... qui croyaient fermement que, par sa sainteté, elle (Jeanne) se feust échappée du feu et qu'on eus tarse une autre cuidant que ce feust elle" (4). L'idée que celle qui avait "bouté" l'envahisseur hors du royaume n'avait pu périr sur un bûcher comme une simple mortelle était donc presque générale. Elle prit une plus grande consistance lorsque, le 20 mai 1436, une aventurière, de l'âge et du physique de la bonne Lorraine, brune comme elle, se présenta, en cette qualité, dans une réunion de seigneurs tenus à la Grange-aux-Ormes (5).
"Cette résurrection ne surprit personne, pas même Pierre et Petit Jehan d'Arc, frères de la Pucelle, qui n'hésitèrent pas à la reconnaître pour leur soeur. Il faut lire, dans l'ouvrage de M. Lecoy de la Marche (6), le récit de l'exhibition de la fausse Jeanne d'Arc à Mairville (7), au pèlerinage de N.D. de Liesse (8) dans le duché de Luxembourg, à Cologne, à Metz, à Orléans, à Paris, et en Anjou pour se rendre compte de l'engouement du populaire à l'égard d'une aventurière qui répondait si bien à ses désirs. Cette comédie qui avait eu deux mariages au cours de la représentation (9) et une assez longue et prudente éclipse aurait pu se terminer tragiquement, sans la bonté proverbiale du Roi René dans les Etats duquel l'intrigante vient échouer et convoler en secondes noces. Une lettre de rémission, datée du château d'Angers et de février 1457, vint trouver la pseudo Pucelle dans les prisons de Saumur où ses impostures et ses entreprises la faisait détenir depuis trois mois. Bannie de la ville et de la province, la fausse Jeanne d'Arc, plus connue sous le nom de Jeanne des Armoises, disparut à jamais des annales de la célébrité.
"De ce temps, les nouvelles, vraies ou erronées, se propageaient avec plus de facilité et de rapidité que notre époque de télégraphe et de chemin de fer ne se l'imagine. Les nombreus pèlerins ou marchands qui sillonnaient les routes, les uns par dévotion, les autres par métier, les colportaient avec une vitesse incroyable. Il n'est donc pas étonnant que Pons Veyrier, le cordonnier d'Arles, ait appris par un voyageur de passage, par un compagnon en quête de travail ou même par un Provençal ayant suivi le roi René à Angers, un évènement que l'attente populaire autant que la parti anglais peut-être avait suscité. On ne peut assurément taxer d'exagération ou d'ingénuité les récits faits au bon partisan sur la Pucelle par les deux ou trois témoins qui méritent sans doute d'être qualifiés de dignes de foi (per duos vel res testes fide dignos). L'exemple des frères de Jeanne d'Arc, du seigneur des Armoises, pour ne citer que les plus fameux, et de la ville d'Orléans (10) serviraient à excuser la méprise bien naturelle de Pons Veyrier... (11)."
Henry VILLARD.
(1) Singularités historiques, littéraires, politiques, sacrées et prophanes de la ville d'Arles, f.50. Cote N°225.
(2) Voir lettre de l'archevêque Jacques Gélu. Archives de l'Isère, reg. B, 3.139.
(3) Canton de St. Remy, B. du Rh.
(4) Journal de Paris, cité par Quicherat, Procès de Jeanne d'Arc, V, 334.
(5) Bourg près de St. Privat, à une lieue de Metz.
(6) Lecoy de la Marche,
le roi René, I, p. 208 sq.
(7) Aujourd'hui Marieulle entre Corny et Pont-à-Mousson, d'après D. Calmet (Hist. de Lorraine, II, p. 2) ou Morville-sur-Seille, près de Metz, d'après Lecoy de la Marche, Le Roi René, I, 312.
(8) Bourg du départ. de l'Aisne, arrond. de Laon.
(9) D'abord avec messire Robert des Armoises et, à la mort de ce dernier, avec un obscur Angevin nommé Jean Douillet.
(10) Les 18, 29 et 30 juillet 1439, la cité offre des banquets et, le 1er avril de la même année, le Conseil de la ville lui a fait don de 210 livres parisis.
(11) Nous tenons à préciser que notre Bulletin a toujours tenu fermement pour la thèse de la mort de Jeanne sur le bûcher à Rouen en 1431 et rejeté les hypothèses de la naissance royale (bâtarde d'Isabeau de Bavière), comme contraires à la vérité historique (N.D.L.R.)
Ref. : "Un pari sur la mort de Jeanne en 1437" - Extrait du Bulletin de la Société des Amis du Vieux Chinon - Tome VIII (1979-1982) - n° 6 (1982) - p. 751, 753).
PS : chacun peut avoir sa propre opinion sur le sujet, bien évidemment. La moindre des choses est de respecter cela. Nous pencherons, nous, pour la thèse inverse. geneapope.