Prière à l'océan (extraits).
(image : vue de l'océan, du manoir de Saint-Pol-Roux - picasaweb.google.com )
"Aux pêcheurs de Camaret."
Océan
Divinité de houles et de houles sur des gouffres et des gouffres.
Irascible énergie à la voix de cornoc.
Monstre glauque, semblable à quelque énorme
Gueule de baudroie suivie d'une incommensurable queue de congre.
Masse mouvante avec, pour âme, cette lame sourde jaillissant en lave d'un puits abyssal.
Epoux de la Tempête aux griffes de noroît et cheveux de suroît ?
Génie double qui souque la victime entre vent-arrière et vent-debout.
Démon de verre cassant des vaisseaux comme on casse des noix.
Orage aux dents de récif qui croque des tas d'hommes comme sur la terre nous croquons des pommes.
Nappe d'orgie sur quoi les flottilles sont les friandises.
Les escadres des gigots.
Insondable estomac où se digèrent les naufrages dont les épaves rares sur les flots figurent les os.
Diaphragme innombrable au muscle soulevé depuis les tréfonds inconnus jusqu'à l'éclair des rues.
Jungle liquide des sautes-de-vent accouplées aux brisants.
Harpagonie de trésors engloutis.
Joute des aventures d'or et des squales d'acier.
Cimetière dansant où les péris se heurtent l'alliance au doigt.
Farouche pêle-mêle où tout se trouve - sauf un coeur. Océan.
Abaisse donc tes monts sabaothiques.
Calme les nerfs noués en pieuvres.
Scelle les chiens-de-mer aux creux du Toulinguet.
Aspire ma présence de tes branchies toutes.
Puis, posant les pieds blancs de tes flux sur la grêve,
Accueille en cette oreille qu'est ce coquillage
Les mots qui te descendent sur la brise tendre
Arrivée des vallons de l'Aulne et de l'Elorn."
Autre extrait :
"Gouffre à péris
Pour muer en dentelles les crachats de rage
Qui contraint la voile à prendre des ris.
Pour donner à ta lame
Un rythme qui suggère les seins de la femme
Ouvre ton dur génie aux lois de l'harmonie
Inscris la certitude à l'écran du mirage
Et place en lots égaux la justice sacrée
Sur les plateaux de la balance des marées.
Doublant sainte Rocamadour
Et l'esplanade de la Tour
Aux galets ronds comme des coiffes
Vois l'aile rouge hors du nid
Par Tas de Pois ou Pierres Noires
Vers Irlande ou Mauritanie.
Renvoie nos gâs avec le pain
Et la chanson du lendemain.
La barque est belle fille
Du flèche à la quille.
Epargne-lui lame de fond
Courants pervers, écueil profond.
Mets douce brise dans ses joues
Pour qu'elle taille sur des roues
Avec des rires sur le pont.
Renvoie nos gâs avec le pain
Et le baiser du lendemain.
Qu'ils nous reviennent, le vivier
Plein de trouvailles du casier.
Et puis, dedans les sillons bleus
De ton jardin miraculeux
Avec le geste pour le blé
Laisse-les semer leurs filets
En vue des mobiles moissons
Que sont les bancs de tes poissons.
Renvoie nos gâs avec le pain
Et les enfants du lendemain.
Mendiant, je comprends l'espoir tendant la main
Pour quêter en retour ce qui peut rendre humain.
Un coeur, sans quoi n'importe quelle masse n'est rien.
Un coeur te manque, Océan pitoyable - prends le mien !
Petit comme un crapaud, mais grand comme Dieu même.
Il va t'apprendre à dire à la barque, je t'aime !
Et par lui tu seras mon plus grave poème."
Saint-Pol-Roux.
Autre poème :
"Des anges sont venus qui m'ont déraciné de la terre ingénue où tant d'arbres, de pierre, dont je suis le fruit, montent de l'ossature puissante du monde.
Des anges sont venus qui m'ont élu parmi tant de troncs séculaires et m'ont dit : "Maître, va transplanter tes racines divines, là-bas, dans la cendre exilée du pays des calvaires."
"Puisqu'ils ne peuvent plus venir à toi, les pèlerins, deviens le leur, ô Christ, et va sur la douleur de ces gâs d'autrefois étendre ton ombrage souverain."
Aussitôt j'ai quitté le granitique sol entre les pleurs des saintes femmes. - "Ne pleurez mie, je vais vers vos petits !" et de très longues fleurs me retenaient au col en la spirale de leurs âmes."
Saint-Pol-Roux.